Momos me rattrape d'un geste brut et d'un ton sec. Je vais mal. Je pleure. Je suis misérable. Je ne veux pas que l'on me voit ainsi...  Il attrape mon bras. Je me retourne vers lui, l'air dévasté mais qui commence à se faire rattraper par un air de colère... Sourcils froncés, tremblements...

« Oh tu ne vas pas courir ! Qu’est-ce que tu pensais faire ?! »

Je plisse les yeux et tire comme je peux. Mais j'ai tellement faim que mes forces sont comme complètement inexistantes. Mon regard se ferme, même à mon petit-ami... Mes larmes coulent très fort... Ma mâchoire se serre tandis que je tente de tirer pour me défaire de son entrave.

'' Ne penses pas me rattraper après m'avoir demandé de partir !''
« Cesse de fuir tes problèmes et combats-les un peu… Enfin bref ! Comme tu vois, on va devoir avoir une conversation…MAIS… ! »
'' Je t'ordonne de me lai... HÉ !! ''

Il m'attrape comme un vulgaire sac de tubercules en toile de jute. Il s'imagine que je vais apprécier ce geste d'attention ? Entre m'envoyer sur les roses pour me rattraper juste après ? Je suis en colère. Mais elle est bien vite remplacée par ma déprime...

« …En attendant, tu vas juste me laisser dans mon coin. Comme tu vois, je suis encore énervé. DONC. J’ai besoin d’être seul. »

Et cette tête de mule m'amène vers mon cadet, Achille. Mes forces faibles me font tomber à nouveau au sol dès qu'il me pose. Je suis pas un animal, enfin... Je suis essoufflée. Je me relève pour tenter de rétorquer quoique ce soit mais...

'' Qu'est ce que tu... ''
« Je te la confie pour quelques minutes. Merci. Bisou. »
'' HÉ !! ''

Notre échange plus qu'étrange termine avec un pincement de joue et un pantin laissé dans mes bras... Suis-je tombée aussi bas ..? Comme un bébé ? Je baisse la tête. Oh non... Ça recommence... Ce sentiment ... D'inutilité...

Le pantin de mon petit ami en main, je le serre malgré tout contre moi... Je regarde ce dernier avancer vers la barrière d'ombre. Je regarde Achille. J'ai honte. Je baisse la tête et recule. Mon traditionnel air froid et en retrait reprends le dessus comme un bouclier pour me protéger...

'' Ne l'écoute pas. Je n'ai pas besoin d'être confiée à quique ce soit. Ne t'en fais pas... Occupe toi de Télémaque... Il a besoin d'aide. Et tu sembles l'aider à la perfection, Achille... Télémaque... Courage... Crois en toi, tu as autant ta place à l'Académie que n'importe quel Dieu... ''

Je reprends ma route en arrière. Je suis... Aussi têtue que lui. Moi non plus. Je n'écoute pas, et moi non plus. Rien ne peut me sortir de ma torpeur. Et ça dure depuis bien longtemps.... Je recule et reste le plus loin possible de tout le monde. Profitant de leurs attentions mutuelles pour me mettre à l'écart. Momos part. Je le regarde s'avancer et parler aux ombres... Je me ronge les sangs pour lui... Il est dévasté et ne veut pas le montrer. Pourquoi me le cache-t-il ? Suis-je crédible... Moi qui répète que c'est de ma faute, qui n'écoute pas mes cadets ? Moi qui suis persuadée qu'ils ne font ça que parce que je suis leur référente ? Que par pitié ou principe ?

'' Idiot... Idiot... ''

Artémis a recouvré sa forme de loup normale. Puis sa forme originelle... Elle voit Hébé et la pose sur ses jambes, l'aidant ainsi à manger des pommes. J'en ai fait plein. J'en attrape trois ou quatre au passage, elles sont grosses, juteuses et sucrées... Je vais derrière tout le monde. Les primordiaux sont aussi dans un sale état... Je leur jette un regard rapide, froid, et me loge contre un arbre. Dévorant mes quatre pommes dans aucune retenue ... Enfin... Un peu d'énergie... Mais je ressasse... Et comme à chaque fois que j'essaie de raisonner mon esprit. Les ombres présentes depuis bien avant notre escapade ici entourant ma raison et m'empêchant ainsi d'être optimiste ou logique... Pourquoi diable suis-je ainsi ? C'est la famine qui me frappe ainsi... Pas la fatigue ou le désespoir... Est-ce que tout ce que j'ai vu... Tout ce que j'ai ressenti et expérimenté depuis que nous avons quitté la forêt d'automne n'a fait qu'accroître ce qui me ronge depuis que j'ai voulu aider comme l'inutile que je suis les cadets après leur mésaventure sur le bord de plage ? Depuis ce jour ... Tout n'a plus vraiment de saveur... Sauf quand Momos est arrivé dans ma vie comme un rayon de soleil dans mes jardins. La soirée, la sortie, le lac, la valse, la plage, nos marches nocturnes... Mais les bons souvenirs sont remplacés par des angoisses... J'avais déjà du mal avec ma réputation avant l'événement des sirènes mais... J'étais bien, être crainte et obéie... C'est ce que je voulais. C'était normal pour moi d'être crainte... Maintenant... Je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Comme si la vraie ''moi'' tentait de s'échapper d'une prison qui la retenait depuis des lunes... Dès que j'essaie d'être positive, quelque chose me prends aux tripes. Au point d'avoir une angoisse naissante à chaque fois... Et si c'était moi qui transmettait à Momos du mal-être..? Sa colère est justifiée. Il n'a rien à faire avec une gourde pareille. Je voulais l'aider à aimer la vie mais je n'arrive à rien... Oui... Rien ...

Je finis mes pommes et remarque que beaucoup s'avancent... Tiens... La barrière avec Hermès et Hyppolite est rompue, Télémaque s'y précipite... Lui et Hermès hein..? Ils vont bien ensemble... Si il pouvait canaliser cette pie voleuse... Un léger sourire attendri, très léger, se dessine quelques secondes sur mes lèvres. Tout le monde s'y avance. Je reste en retrait. Je ne bouge pas. J'ai une boule dans la gorge. Je suis comme devenue muette. Je n'ai plus envie de me battre... Je n'ai plus envie de chercher à aider qui que ce soit. De toute façon, je suis inutile.

Nos traîtres malgré eux sortent un miroir, enfin... Des fragments de miroirs... Encore un jeu d'Argos, hein ? Ça sent l'épreuve de confiance. Argos veut encore se jouer de nous, de notre confiance. Mais il est mal tombé avec moi. Même si actuellement. Mon chiot à la fraise. J'ai envie de ne plus l'importuner, lui ni personne, mais je sais qu'il n'aurait rien fait. Et je suis persuadée que les autres non plus. Hyppolite est bien trop droite pour ça. Jamais elle ne ferait ce genre de chose de gaité de coeur. J'attends que tout le monde avance.

J'essuie les vestiges de mes larmes. Le désespoir... La famine... Je suis à bout. Je crois que j'arrive dans une phase où je suis comme... Anesthésiée. Plus rien ne sort de mes yeux. Je croise les bras. Son pantin encore dans mes bras. Une discussion hein..? Après tout ça... Je ne pense pas que je serais capable de reprendre quoique ce soit de normal...

Mes larmes sont essuyés. Mon visage redevient fermé. Mais une tristesse infinie en émane. Je suis en mutisme. Je n'arrive plus à dire un mot... C'est fini. Arrêtons de se montrer aussi faible. Redevenons cette référente sans... Sans émotions ?

La colère de Momos était palpable. C'était une des raisons pour lesquelles j'avais parlé avec une voix posée. Je savais qu'il pouvait démarrer au quart de tour, je l'avais vu à l'œuvre. Et chaque parole pouvait mal être interprétée. C'était exactement ce qui venait de se passer. Je me retins de soupirer, serrant un peu plus Hébé contre moi.

"Je n'ai jamais dit ça, tu as mal compris mes paroles. Bien sûr que je pense que nous avons tous été manipulés, plus ou moins, en fonction du rôle qu'avait prévu Argos pour nous. Même si certains, et tu n'en fais pas partie de mon point de vue, ne semblait pas très touchés par la souffrance des autres."

Mon regard coula un instant vers Amphitrite. Mais revint bien vite sur Momos. Je n'avais pas digéré les attaques de l'Ipomea mais le plus important était de réussir à calmer Momos.

"On a tous essayé de se protéger les uns les autres, même si certains en doutent. Mais les Maux nous empêchaient de réfléchir et d'agir correctement. Et Argos a bien fait en sorte de nous retourner les uns contre les autres avec cette histoire de traitres. Mais depuis le début, je fais partie de ceux qui n'ont pas cru à une véritable traitrise. Et toi ? Tu crois vraiment être le seul à culpabiliser dans cette histoire ? J'essaie juste de faire en sorte qu'on rentre rapidement, tous ensemble, et sains et saufs. On est tous à bout à cause des Maux de la Boite. Plus vite on retrouve Pandore, Argos et la Boite, plus vite on pourra se débarrasser de notre Mal."

Il demanda aux autres leurs morceaux de miroir. Il allait faire une bêtise, je le sentais. Je fus piquée au vif par sa phrase. Et c'était moi qu'il accusait d'utiliser la culpabilité contre les autres ? Moi qui essayais de faire en sorte de calmer le jeu, voilà qu'il faisait en sorte de provoquer tout le monde. S'il ne voulait pas nous aider et qu'il se débarrassait du miroir, beaucoup se retourneraient contre eux et penseraient vraiment qu'ils étaient traitres. Ce n'était pas leur rendre service.

"Parce que tu crois que je ne culpabilise pas ? Tu crois que je ne regrette pas d'être responsable de l'élimination de Déméter ? Je sais très bien que j'ai failli à ma mission de Seconde. Mais je ferais tout pour me racheter. Car si on baisse les bras maintenant, on sera bloqué dans les Terres Désolées et on finira par s'entretuer. Non, malgré ce que certains pensent de moi, mon but est de faire en sorte que l'on rentre tous indemnes. Et je sais très bien que je n'y arriverai pas seule. Mais il faut qu'on collabore tous, qu'on se soutienne et qu'on trouve la solution ensemble."

C'est alors qu'il mit son morceau dans sa bouche.

"Non ! Ne fais pas ça, tu vas te blesser !"

Je me retins de faire un pas vers lui, car je savais très bien que ça empirerait les choses. Il m'en voulait. Peut-être même qu'il me détestait. Mais nous devions mettre nos différends de côté pour nous en sortir.

"Je sais très bien que je ne suis pas appréciée. Et je ne vous demande pas de m'aimer. Je vous demande juste qu'on mette chacun du nôtre pour nous battre ensemble contre Argos."

J'avais balayé l'assemblée du regard en disant cela. Chacun devait faire un effort. Même le plus petit des efforts serait bénéfique. Puis, je me tournai à nouveau vers Momos.

"S'il te plait, Momos. Aide nous à retrouver Pandore et la Boite, pour pouvoir botter le cul d'Argos, et nous permettre de tous nous sauver. Certains ont grand besoin de soin. Et on ne pourra pas les aider tant que nous serons bloqués ici."

Je continue à m'empifrer de fruits que je fais pousser pour récupérer de l'énergie et ainsi me libérer un peu de mes tourments... Ça marche... Un peu. J'arrive à reprendre contenance... À peu près. Je suis toujours dans un mélange entre le désespoir et la colère... La famine diminue légèrement. Mais elle est toujours là. Mais elle a assez baissée pour que je puisse à nouveau reprendre contenance...

Je fermais les yeux pour me reposer tandis que mon petit ami hurle sur ma seconde. Je les ouvre en soupirant... Artémis tient Hébé contre elle et Momos semble avoir interprété quelque chose. Alors moi. Je dois aller voir les autres et leur faire un câlin, et lui, il peut crier sur mes cadets et ma seconde ? Je soupire, plutôt râle... Un bon moment. Mais il commence à faire quelque chose qui me fait sortir de mes gonds. Il avale son fragment de miroir... Enfin... Il me mets dans sa bouche, quoi ... NAN MAIS.... IL LE MET DANS SA BOUCHE ? MAIS ÇA VA PAS ?

Je me hâte vers lui, pour le coup. Le désespoir a laissé complètement la place à la panique. Et à la colère. J'avance, et je tape du pied assez fort. Une liane, comme une ronce de murier en sort. Attrapant la cheville de mon amant et lui met la tête à l'envers. Histoire d'éviter d'avaler ou se faire je ne sais quelle foutue bêtise ou dégâts.

— Crache.

Je suis essoufflée. Mon ton est sec. C'est plus difficile avec la faim de faire agir mes plants à la guise. Je le regarde dans les yeux. Colère. Panique.

— CRACHE ÇA !

Je vais derrière lui et encore suspendu comme un sachet de thé. Lui donne une grande tape dans le dos.

— D'accord, la colère... Mais là. C'est de la bêtise, Momos ! Tes conseils que tu me donnes. Prends les donc pour TOI AUSSI BORDEL ! Je ne veux pas te voir blessé !

Ce voyage imprévu aura vraiment, vraiment été un calvaire sans nom...