Trois jours... Étrangement, il assimilait le fait qu'Apollon soit officiellement son petit ami bien mieux qu'il ne l'aurait imaginé. Peut-être parce que ça s'était fait très naturellement, peut-être parce que leur petite scène à la cafétéria avait dissipé tous ses doutes du côté sentiments de l'équation. En tout cas, ça faisait aussi trois jours qu'il ne quittait le sanctuaire Ipomea qu'en de très rares occasions avec Apollon - principalement pour manger - et qu'il passait le reste du temps dans sa chambre. Dont cette nuit.

Il y aurait passé tout le reste de la journée sans interruption si quelqu'un n'avait pas frappé à la porte. Encore à moitié réveillé - et tout autant habillé - Arès releva à peine la tête en entendant quelqu'un entrer. Une fille, à en juger par la voix qu'il entendit ; une fille qui avait le mérite de ne pas employer une voix pleine de minauderie en s'adressant à Apollon. Il décidé qu'elle n'était pas dérangeante.



Apollon se tourna vers lui pour l'interroger du regard et Arès grimaça. Il aurait pu tout simplement l'ignorer pour rester ici et profiter de sa matinée. Il n'avait pas de griefs particuliers contre sa référente, même s'il n'appréciait pas toujours qu'elle se permettre de lui faire la morale alors qu'il l'avait côtoyée - un peu - à la garderie, mais il savait aussi que ça n'arrangerait rien de la faire attendre. Et surtout, Déméter avait techniquement la possibilité de demander à Poséidon de débarquer dans la chambre pour le faire sortir. Il préférait encore y aller lui-même que croiser l'autre face de truite.




Il l'embrassa brièvement sur la joue avant de le laisser se relever. Arès enfila une veste à la va-vite et se dirigea vers l'extérieur en accordant à peine un regard à la fille qui était entrée. Elle ne s'en formalisa pas, elle se contenta de partir de son côté et de retourner dans sa chambre. Tant mieux, ça lui évitait, à lui, de se demander si elle tournait autour d'Apollon ou non.
Il faudrait qu'il travaille un peu sur sa jalousie.

Il ne lui fallut pas bien longtemps pour croiser Déméter, qui se trouvait effectivement très près du sanctuaire Ipomea. Soit elle le cherchait comme avait dit la fille, soit elle venait voir quelqu'un ici ; il avait tendance à pencher pour la première option, mais il ne savait pas grand-chose de sa vie. Peut-être qu'elle avait des amis chez les Ipomea, après tout. Elle ne tarda pas à confirmer la première option.



"Parce que tu es planqué chez les Ipomea depuis trois jours" aurait probablement été la réponse d'Artémis. Déméter lui adressa une phrase plus subtile, mais son regard et la disparition de son sourire faisaient le même effet.



Il avait plutôt bien dormi, alors il n'était pas spécialement agressif, mais il était aussi pressé de mettre fin à cette conversation et de retourner dans les bras d'Apollon.

Est-ce qu'elle était vraiment là pour lui faire la morale sur le fait qu'il ait dormi dans un autre sanctuaire ? Bon, d'accord, trois jours de suite. Mais quand même. On l'engueulait quand il foutait le bordel, et maintenant on venait aussi le faire quand il était calme. Ça allait devenir compliqué si on était sur son dos quoi qu'il fasse.

Il la suivit quand même, avec un soupir à peine exaggéré. Il ignorait combien de temps ça prendrait, mais le temps lui semblait déjà long. Il n'aimait pas être séparé d'Apollon. Ces trois derniers jours avaient transformé ses manoeuvres d'évitement en dépendance et même s'il avait plus ou moins conscience que ça finirait par se calmer, pour l'instant il était loin d'avoir sa dose quotidienne. Le fait qu'il se dise qu'il avait envie de "rentrer" alors qu'ils prenaient la route de son sanctuaire était très révélateur là-dessus.

Il glissa les mains dans les poches de sa veste avec un soupir. Il n'avait pas la moindre idée d'où elle l'emmenait. Il s'était attendu à se retrouver encore au même endroit que d'habitude, mais elle l'emmena à l'extérieru et il fronça les sourcils. Peut-être qu'elle n'allait pas l'engueuler, finalement. C'était un peu étrange mais bon, tous les Tamarisc ne communiquaient pas exclusivement à travers le prisme de la colère comme il avait l'habitude de le faire. C'était sans doute mieux comme ça. Même si le début de sa relation avait un peu calmé le jeu, il bouillonait encore intérieurement et il savait qu'il ne lui fallait pas grand-chose pour sortir de ses gonds. Le type qui avait failli se prendre une fourchette dans la main à la cafétéria quelques jours plus tôt aurait pu en témoigner.
Il l'avait mérité, mais c'était un détail.

Arès s'assit sans protester, ce qui changeait pas mal de ses habitudes. Il avait l'habitude de s'installer dans l'herbe ; la plupart de ses conversations avec Perséphone se faisaient comme ça. C'était presque plus familier que les chaises, en fait. À part à la cafétéria, il ne s'asseyait pas franchement souvent. Il n'était par contre pas dans de meilleures dispositions pour autant. Il était trop pressé de s'en aller pour ça.



À vrai dire, à part l'incident de la cafét... Il n'avait pas montré tant de signes de violence que ça depuis qu'ils étaient rentrés de l'île. Toute son énergie avait été vouée à esquiver Apollon ou à s'entraîner seul contre des mannequins et autres créations magique des terrains d'entraînement qui ne protestaient pas quand elles se faisaient frapper. Non... À bien y réfléchir, ses deux seuls éclats avaient été la soirée Helyantos où lui et Apollon s'étaient hurlés dessus devant tout le monde il y a quatre jours, et la fourchette planté violemment dans la table le lendemain. Ce n'était pas ce que voulait Déméter, à la base ? Qu'il se calme et qu'il arrête de frapper tout le monde ?



Ce qui ne voulait pas du tout dire qu'il avait le droit de le faire, évidemment. Mais "avoir le droit" était une notion très relative, il était plutôt connu pour se ficher de l'autorité.

Il avait l'impression de l'avoir perdue, comme si elle ne savait pas si elle devait l'engueuler ou non. Ce serait bien une première. Elle réfléchissait. De son côté, Arès posa le visage au creux de la main en attendant qu'elle finisse de chercher ce qu'elle voulait faire. Si elle pouvait faire ça vite...



Que suis-je censée faire ? C'était vraiment à lui qu'elle posait cette question ? Il était probablement l'un des plus impulsifs du sanctuaire, le premier à dire "on s'en fout" et à suivre la première émotion qui passait. Enfin, la plupart de temps. Depuis l'épisode des sirènes, au contraire, il avait trop souvent l'impression de s'embrouiller dans ses propres pensées. C'était quelque chose de nouveau dont il se serait très bien passé. Réfléchir avant d'agir avait peut-être son intérêt - Artémis le prouvait bien assez souvent - mais il était au-delà de ce stade.
Il releva la tête quand elle reprit la parole.



Comme Artémis qui allait dans la forêt d'automne de temps en temps pour être tranquille. Ou tous ceux qui passaient les nuits chez les Helyantos pour faire la fête. Ça n'avait pas l'air de déranger grand monde, en fait. Peut-être que Déméter était l'une des dernières personnes à croire en la notion de couvre-feu dans cette école. Est-ce qu'il y en avait seulement un, ou c'était juste sa manière à elle de s'assurer que son sanctuaire ne faisait pas n'importe quoi ?
Puis son cerveau finit par capter le reste de sa phrase et il arqua un sourcil.



Comment ça, inquiétée ? Quel besoin pouvait-elle bien avoir de s'inquiéter pour lui ? Les rares fois où ils s'adressaient la parole, c'était quand elle lui faisait des reproches. Est-ce que quelqu'un était allé la voir ? Un de ses colocs, peut-être. Sans doute pas Achille, qui avait clairement ses propres problèmes, lui aussi, mais les autres... S'ils en avaient eu marre de devoir forcer pour rentrer dans leur propre chambre...
Mais si c'était le cas, elle serait venue plus tôt, non ? Ça faisait un peu plus d'un mois qu'il avait commencé à s'enfermer pour que personne ne vienne lui parler, mais elle avait sûrement les clefs de toutes les chambres.

Il fronça les sourcils pour arrêter de réfléchir. Vraiment, c'était désagréable. Il partait dans des longues séries de réflexions qui ne menaient nulle part de plus en plus souvent et ça commençait à lui taper sur les nerfs. Si les Lobellus étaient tout le temps dans cet état, il comprenait mieux pourquoi la plupart était chiant. Ça devait rendre dingue, à force.

Il n'arrivait pas à associer Déméter au concept d'inquiétude. Ce n'était pas commun chez les Tamarisc de s'en faire pour les gens, ou en tout cas pas de façon douce. Leur inquiétude était en général plus brutale, presque agressive. Là, il avait presque l'impression d'être fae à Hestia. C'était perturbant.



Enfin, peu importe. Elle semblait déjà embarassée, que ce soit de l'admettre ou juste de ne pas l'avoir montré plus tôt ; dans tous les cas, il n'avait aucune raison d'insister, surtout si ça la poussait à s'ouvrir sur ses émotions. Ça ne l'intéressait pas. De manière générale, les sentiments des gens hors de son cercle d'amis lui étaient bien indifférents.

Il resta silencieux tandis qu'elle s'excusait d'avoir mis du temps à s'intéresser à lui. Il haussa les épaules. Il aurait préféré qu'elle choisisse un autre moment, mais le mois précédent n'aurait de toute façon pas offert beaucoup de conversation. Il n'était pas disposé à parler à grand monde - à part Artémis, si on pouvait appeler leur interaction à l'embrasement une "conversation".



Elles étaient proches, non ? Il les voyait souvent ensemble, à faire toutes ces activités calmes qu'il ne pourrait jamais comprendre. Mais boire du thé, manger des olives et jouer aux échecs devaient laisser beaucoup de temps pour discuter. C'était ça ou mourir d'ennui.



Elle serait bien plus à même de lui expliquer. Même s'il trouvait tout le concept sur lequel Athéna régnait franchement peu utile, il ne comprenait pas pourquoi Déméter choisissait de lui parler à lui. Il n'avait jamais été doué ni avec les mots, ni avec les émotions. Bon, Athéna ne savait rien de sa vision et elle n'avait pas affronté le requin avec eux, mais elle devait bien avoir assez d'infos pour tenir leurs référents au courant.
Puis il songea que Déméter ne le laisserait pas repartir s'il ne lui donnait pas un peu d'informations, alors il soupira.



Ce n'était pas la première fois qu'il s'isolait. Avec un peu de chance, ce serait la dernière.