Le traditionnel moment de calme
Déméter & Athéna

Une fois installée sur le canapé de Déméter, je l'observais me parler. Elle avait cette aura autour d'elle qui faisait qu'elle imposait le respect où qu'elle aille. Je me sentais en sécurité à ses côtés, quelle que soit la situation. Notre repas allait pouvoir commencer dans d'excellentes conditions. Je me détendis sur son siège particulièrement moelleux et confortable. Elle savait très bien recevoir dans sa chambre, son domaine privé. Elle mit notre cahier à proximité, non loin de nos victuailles avant de proposer de discuter au sujet des clubs dont nous avions abordé la création plus tôt dans la journée...

— C'est une bonne idée de sujet de conversation pour notre repas.

Des sections pour l'entraînement. L'idée méritait d'être approfondie et j'acquiescais silencieusement, grattant mes idées à mon tour sur un bloc notes. Répertorier chaque Tamarisc dans les sections dans lesquelles il pourrait se sentir bien, pour maîtriser, apprendre ou transmettre était sur le papier très intéressant. Néanmoins, après vérification...

— Je suis globalement d'accord avec toi. Après, chaque prédisposé à la présidence d'un club pourrait choisir à qui déléguer son poste lorsqu'il n'est pas là, ce qui responsabiliserait à terme, plus de personnes...

Je voyais venir les tourments, les hantises de Déméter. Je les connaissais par coeur. Elle pouvait tout diriger, sans aucun doute. Mais je voulais à tout prix lui éviter de trop en faire pour son propre bien. Elle était capable de faire preuve d'énormément de zèle quitte à y laisser sa divine santé, qu'elle soit physique... Ou mentale. J'observais le cahier. Nos échanges étaient tous consignés dedans. Il lui servait de bouée, de phare lorsqu'elle ne voulait pas me solliciter mais qu'elle avait néanmoins besoin de mes perles de sagesse. Ce cahier était là depuis la Garderie et elle l'avait emporté avec elle lorsqu'elle était prête à gagner l'académie. Nous n'avons jamais arrêté de l'agrémenter depuis mon arrivée à mon tour... Je poursuivis mon raisonnement après avoir dégusté un délicieux pain pita garni de fromages et de tomates séchées, arrosé d'un léger trait d'huile d'olive et de vinaigre balsamique. Je devenais gourmande lorsque j'étais à ses côtés durant ces repas...

— Mais laisser ces groupes en autonomie totale sans quelqu'un pour les aiguiller pourrait s'avérer être à double tranchant. Le temps et l'expérience nous ont appris à toutes les deux que les Tamarisc sont capables du meilleur...

Le meilleur. Une grande cohésion, des échanges brûlants et passionnés, une camaraderie et une abnégation à toute épreuve, un esprit d'équipe comme aucun autre sanctuaire ne peut se vanter d'avoir...

— Comme du pire...

Des débats parfois un peu trop enflammés, des compétitions étranges à base de concours de gifles, des duels organisés à la va-vite pour un regard en croix... Nos camarades avaient le sang chaud et ils le montraient bien. Très bien... Je sentis que son esprit commençait déjà à la torturer avec les possibilités du "pire" sans forcément se concentrer aussi sur le "meilleur". Je posais avec douceur ma main sur son avant bras, du bout des doigts. Je désirais malgré tout respecter son espace et ne pas l'empiéter plus que nécessaire sans y être invitée. Je pris la parole d'une voix douce après une gorgée de thé.

— Mais n'aie crainte, Déméter. Je m'occupe de tout... Tu m'as fait confiance en m'accordant ce titre de seconde et je te montrerai que tu as fait un bon choix, d'accord ? Laisse toi te reposer un peu sur moi, tu mérites toi aussi de te reposer. Et qui sait ? Peut-être qu'en prenant part à ces clubs en tant qu'adhérente, tu pourrais avoir des surprises et apprendre des choses de nos camarades..?

Je sentais au fond de moi que cette conversation était bonne pour nous deux. J'espérais réussir à apaiser ses craintes. Déméter était bien plus que ma référente. Elle était aussi une amie qui m'était très chère. Extrêmement chère...

Le traditionnel moment de calme
Déméter & Athéna

J'observais ma responsable avec grand intérêt. J'entendais parfaitement ses craintes liées aux clubs et les idées que nous pouvions avoir. Mais lorsque je lui avais suggéré l'idée de profiter elle aussi de ces clubs, je m'étais heurtée à un mur, comme si elle s'était complètement fermée. Je plissais les yeux. Était-elle en train de broyer du noir ? Ça m'en avait tout l'air. Je fis glisser lentement ma main sur la sienne avant de lui donner de quoi méditer...

— Ton rôle de référente ne t'empêche pas de prendre du bon temps, de te reposer et d'apprendre auprès de ceux de qui tu as ordinairement la responsabilité, tu sais ? Je pense pouvoir affirmer sans orgueil que j'ai pu t'apporter quelque chose alors que je dépends de toi... Confèrent mes petites perles de sagesse que tu gardes précieusement. Il ne faut pas que tu t'oublies, Déméter. Ton abnégation est louable et je te remercie infiniment pour ton dévouement à ta fonction ainsi que pour tout ce que tu fais pour nous... Mais je t'en prie, pense un peu à toi aussi...

Je la savais parfois bornée. Elle avait une volonté en acier trempé et rien ne pouvait la détourner de son idée lorsqu'elle en avait une. Je la vis se servir une infusion à base de plantes apaisantes. Préparait-elle déjà sa nuit ? Non. Elle dévorait encore le dîner et nous n'avions même pas encore attaqué les tartes aux fruits. C'est alors que ma référente me fit part de ce que j'avais déjà déduit par moi-même. Elle était tourmentée. Légèrement, selon elle. Mais on ne me mentait pas. Pas elle... Comme une sorte d'instinct protecteur envers mon amie, je poursuivis ma caresse rassurante légère quelques instants avant de retirer ma main et poursuivre, le sourire aux lèvres.

— J'en suis consciente, Déméter... Tu sais tout comme moi que je serai toujours là pour toi... Si tu me fais confiance, garde à l'esprit que tu peux te confier à moi et que jamais je ne te jugerai pour quoi que ce soit...

Plusieurs pains pita garnis furent sacrifiés à son appétit démentiel et par solidarité avec elle, j'en pris un moi aussi, garni d'olives, de fromages, de salade, de tomates et de sauce relevée. J'en croquais un morceau alors que je l'écoutais, en silence. Elle détourna la conversation sur les clubs et je pris des notes après avoir acquiescé ses propositions. Je n'allais pas manquer de travail, car il fallait également interroger chacun de nos camarades Tamarisc. Mais Déméter n'en resta pas là. Elle me demanda de leur faire part qu'il s'agissait de mon idée, sans doute de peur que l'idée ne rencontre pas le succès escompté si jamais les autres Tamarisc pensaient qu'il s'agissait de son idée, de son projet. Ses yeux ne me mentaient pas. Ils me suppliaient presque d'accepter, comme s'il s'agissait d'une faveur qu'elle me demandait... Elle me servit une nouvelle tasse de thé dont je bus une gorgée avant de répondre la gorge éclaircie.

— Je le ferai, Déméter...

Je repris une gorgée de thé dont je savourais le parfum comme on pourrait le faire avec du vin. J'en avais déjà bu par le passé, mais le goût ne me plaisait pas vraiment. Je préférais la délicatesse et l'amertume légère du thé à l'acidité et à la puissance du raisin fermenté. Bien que j'aimais beaucoup déguster ce fruit sous sa forme originale... Je soupirais silencieusement un instant après avoir bien profité d'une longue gorgée. Puis je posais ma tasse en observant ma référente. Je devais me jeter à l'eau. Je ne pouvais pas lui mentir...

— Tu sais... Je sais qu'un mal te ronge. Je sais que ton jardin secret s'assombrit, même si j'ignore pourquoi le crépuscule y tombe...

Elle ne pouvait pas me cacher cela. Pas à moi, Athéna... Nous avions traversé bien des épreuves ensemble à l'époque de la Garderie, je la savais solitaire... J'étais persuadée qu'elle s'imposait sa propre solitude, probablement par pudeur ou peur de déranger, mais je n'en eus pas la confirmation. Le silence devint lourd. Puis je posais à nouveau ma main sur la sienne, du bout des doigts et la regardais d'un air doux, bienveillant. Elle m'avait fait confiance. J'avais le pouvoir et le devoir de lui venir en aide...

— Je ne te forcerai pas à m'en parler si tu ne le désires pas. Jamais je ne ferai cela. En revanche, j'aimerais te demander une faveur... Je te prie de garder à l'esprit que tu n'es pas seule et que je suis prête à t'écouter quelles qu'en soient les conditions. Notre cahier te le rappellera, mais je veux te le dire de vive voix, Déméter...

Je désignais du regard la relique symbole de notre amitié. Elle allait avoir droit à de nouvelles pages après ce dîner... Mais je devais lui dire. Je devais lui avouer... Mon regard glissa à nouveau vers ses yeux. D'une voix douce, soufflée presque comme un murmure, je terminais ma phrase, cherchant à apaiser son mal.

— Je tiens à toi. Et je serai toujours là pour toi, aussi longtemps que tu le voudras. N'oublie jamais. Où que tu ailles, je serai toujours à tes côtés... Je ne te le dis pas seulement en tant que camarade ou en tant que seconde. Mais surtout. En tant qu'amie...

Le traditionnel moment de calme
Déméter & Athéna

Je retirais ma main de la sienne en la laissant respirer, alors que je bus mon infusion en silence. Elle avait des difficultés avec le contact. Je tentais de ne pas la toucher plus que nécessaire. Son espace était restreint et je tenais à ne pas trop empiéter dessus. Je lui avais fait part de ce que je savais et elle ne chercha pas à se défendre. Je savais que sa pudeur l'empêchait de trop en montrer. Elle me rendit mes bons mots pour elle, les vers de douceur que je lui avais donnés avec plaisir et tendresse. C'est cependant lorsqu'elle prononça le mot "mais" que je sus qu'elle n'en dirait rien. Je connaissais la suite de sa phrase et ce, sans même qu'elle n'ait encore ouvert la bouche. J'acquiesçais tristement, les yeux fermés. Je ne pouvais pas la contraindre à m'en parler sans la braquer. Je ne voulais pas cela.

— Soit. Je tenais cependant à ce que tu t'en rappelles...

J'ouvris les yeux et terminais mon pain pita garni en quelques bouchées. Je tapotais mes lèvres avec une serviette et l'observais prendre notre cahier. Elle se murait derrière notre édifice de souvenirs et de moments heureux. Si seulement cela pouvait l'aider à se confier... J'acquiesçais et me remémorais les anecdotes qui passaient sous ses doigts fins lors de leur cheminement le long des pages blanches, noircies de souvenirs heureux. Je hochais la tête avant de la reprendre, posant ma main à côté de la sienne.

— Sauf erreur de ma part, Déméter, il s'agissait d'un olivier. Mais oui. Je m'en souviens... Tu avais ton caractère à l'époque et le besoin qu'on t'aide à canaliser ta colère...

Je m'étais sentie utile, importante, ce jour-là. Mon amie avait besoin de moi et j'étais prête à tout pour l'aider. Nous avions dégusté des fruits sous cet arbre et discuté avec beaucoup de douceur. J'étais tendre et souple avec elle. Elle en avait besoin pour contrebalancer son caractère flamboyant et rigide. Elle voulut retrouver le bonheur dans le passé, dans nos anecdotes, nos souvenirs, nos mots, nos histoires... Je lui souriais avec toute la bonté du monde, et la regardais avec tendresse.

— Comme tu voudras, si tu y trouves un quelconque réconfort. Dans ce cas, pourquoi ne pas commencer par... Le jour de notre rencontre..?

Intérieurement, je la suppliais de trouver la paix en elle et de ne jamais oublier ma présence auprès d'elle. Mais me répéter n'allait probablement lui faire que du mal. Je devais découvrir exactement quels maux la tourmentaient. À n'importe quel prix...

Le traditionnel moment de calme
Déméter & Athéna

La conversation bascula sur les souvenirs que nous partagions avec pour support notre cahier. J'acquiesçais lorsqu'elle mentionna la Garderie. Les deux filles. Déméter qui avait fait une démonstration de violence vers ceux qui l'importunaient. Je la regardais avec tendresse et posais ma main sur la page que j'avais écrite il y a bien des années...

— Je m'en souviens, oui. Je t'avais tendu un mouchoir pour que tu essuies tes mains et ton visage... Je t'avais même dit...

Je revis la scène. Au crépuscule, seule, je l'avais rencontrée. Elle était sur la défensive, attaquant comme une bête acculée. Son poing était serré, elle était prête à me frapper comme les deux autres filles. Mais je lui avais offert un sourire et une main tendue vers elle. Je prononçais à haute voix les mêmes mots qu'à l'époque.

— "Je n'ai pas peur. Pourquoi aurais-je peur de toi ? Tu as l'air si gentille... Au contraire, j'ai plutôt envie de discuter avec toi... Veux-tu faire connaissance ? Je m'appelle Athéna. Et toi..?"

Mon sourire l'avait calmée. À moins qu'il ne s'agissait que de ce que je lui avais dit ? Tout cela à la fois ? Peu importait. J'avais réussi à calmer le feu en elle et elle avait pris ma main. Déméter. C'était son nom. J'étais enchantée de connaître celle qui allait, plus tard, devenir une de mes amies les plus chères... Je poursuivis l'histoire alors que ma main tourna la page...

— Je t'avais emmenée sous mon olivier avec moi... Je t'avais aidée à essuyer tes larmes tellement tu pleurais... J'avais remarqué que ce dont tu avais besoin à l'époque, c'était simplement d'une épaule sur laquelle t'appuyer, d'une oreille à qui te confier, d'une bouche pour te conseiller... Mais tu sais quoi, Déméter..? Cette même épaule, cette même oreille, cette même bouche. Tu les as toujours eues à tes côtés depuis cet instant... Même encore aujourd'hui...

Je tournais la tête vers elle avec un tendre sourire. Elle était épuisée. À un point tel que ses yeux s'étaient fermés au fil de ma progression dans mon histoire. Comme l'enfant qu'elle était...

— Déméter..? Tu t'es endormie...

Je me levais du canapé où nous étions installées, sans bruit, sans secousses. Je pris un coussin que je mis sous sa tête après l'avoir doucement et légèrement relevée. J'allais chercher un plaid que je dépliais sur son corps pour la couvrir. Seule sa tête rousse était encore visible.

— N'attrape pas froid...

Je pris le cahier sans bruit avant de m'asseoir à son bureau pour y écrire de nouvelles pages. Ce que nous avions fait, ce que nous nous étions échangé, les mots que nous nous sommes dits, le poste de seconde qu'elle m'avait proposé et que j'avais accepté, tout y fut consigné avec rigueur, précision et beaucoup d'émotions positives. J'avais conscience que les ténèbres étaient dans son cœur. Elle allait avoir besoin de toute la lumière disponible pour y voir clair... Je l'observais de temps à autre afin de veiller sur son sommeil le temps de ma présence dans sa chambre. Je terminais ma mise à jour de ce précieux cahier aux nombreuses perles de sagesse pleines de lumière avant de faire une petite lettre supplémentaire, pleine de bons sentiments. Je la déposais sur le cahier, à son bureau, avant de mettre un torchon sur les victuailles encore intactes. Il était pour moi l'heure de partir... Arrivée à la porte, je tournais la tête avant de regarder une dernière fois Déméter, endormie, dans ses songes.

— Que ton repos soit doux. À demain, ma référente. Ma camarade. Mon amie...

Je sortis de la chambre sans bruit, discrète comme une ombre. Je fermais la porte de sa chambre avant de retourner dans la mienne. J'étais devenue la seconde de Déméter... Je souriais, heureuse de pouvoir prouver ma valeur. Demain, j'allais commencer à voir chacun de mes camarades pour leur faire part des idées que nous avions eues avec notre référente. Je savais d'avance que cela n'allait pas être de tout repos...