Dire que sa journée était épuisante tenait de l'euphémisme. Garder la barrière avec Tartare et quelques anciens Tamarisc qui avaient suivi la même voie que lui n'était pas de tout repos. Olympus s'était étendu, au fil des victoires et des incursions dans les terres désolées qui leur avaient permis de regagner du territoire, mais les monstres rôdaient toujours au-delà du mur et ne se privaient pas de régulièrement tenter des attaques, d'autant plus maintenant que leur zone se réduisait. L'avantage, cependant, d'avoir un certain nombre de personnes pour garder la frontière était que les jeunes dieux encore en apprentissage pouvaient évoluer sereinement. Pas comme eux, à l'époque.

Repenser à ses années d'études lui tira un petit sourire nostalgique. Ce n'était clairement pas la période la plus simple de sa vie, surtout quand les choses avaient commencé à se corser en cycle 2, mais même si beaucoup de ses camarades de l'époque en gardaient de très mauvais souvenirs, il était plus mitigé. Oui, sur le moment, les incursions de monstres à Olympus avaient créé des situations plus que stressantes, surtout les sirènes, mais ça restaient de bons entraînements. En terme de situations de crise, ils avaient été servis. Il avait tendance à penser qu'il fallait au moins ça pour progresser mais bon, les Moires semblaient considérer que ce genre de catastrophe n'était pas spécialement nécessaire.
De son côté, il avait surtout l'impression qu'elles n'aimaient pas les situations qu'elles ne pouvaient pas prévoir - ce qui était, en soi, assez logique.

Aujourd'hui, quelques chimères avaient décidé de se répartir tout autour de la barrière pour tenter une entrée en force, ce qui avait forcé tout le monde à se séparer. Quelle que soit la créature qui les commendait, elle était un peu plus intelligente que les bêtes seules et il faudrait, à un moment ou un autre, se mettre en chasse pour la retrouver et la vaincre - ou la réintégrer, s'il s'agissait encore d'un dieu disparu. Mais d'abord, régler leur compte aux chimères regroupées de son côté.

Elles étaient sept. Rien d'insurmontable pour lui, quoiqu'il espérait que ce n'était pas le cas partout, parce que tout le monde n'avait pas la même versatilité au combat. Il ferma le poing et les bagues qui s'alignaient sur ses doigts se remodelèrent pour prendre la forme de l'épée qu'il avait traînée toute son adolescence - et qui avait un peu gagné en envergure. Pour éliminer sept ennemis d'un coup, il pouvait bien se permettre de faire dans la démesure.

Il donna un grand coup circulaire qui trancha dans le vif des trois créatures de tête, un peu trop téméraires, qui avaient cru bon de s'approcher. Elles reculèrent d'un bond vif et il perçut une lueur d'intelligence dans le regard des autres. Autrement dit, peu de chances qu'elles se fassent avoir aussi aisément. Dommage, ça lui aurait facilité la tâche. L'épée réduisit un peu en taille, redevenant celle qu'il avait maniée pendant des années, et il se jeta dans la mêlée. L'avantage d'être seul, c'est qu'il n'avait personne pour le gêner ; il pouvait déployer la force qu'il lui arrivait souvent de limiter quand d'autres personnes se battaient auprès de lui, pour éviter les dégâts collatéraux. Le simple coup de pied qu'il envoya sur une chimère trop décidée à lui mordre la cheville provoqua un craquement brutal, avant qu'elle ne vole sur plusieurs mètres. Ce n'était pas au niveau d'Héraclès, comme il avait fini – bien à contrecœur – par l'accepter, mais c'était largement suffisant. Et même après toutes ces années, il était toujours autant incapable de se lasser de ce genre d'ambiance.

Les monstres ne firent pas long feu. Laissant son arme changer d'apparence à volonté, il enchaîna les coups d'épée, de hache, de marteau et de poing selon les besoins de la situation, et les chimères se retrouvèrent toutes effondrées au sol, inertes, enroulées dans les ombres noires qui caractérisaient les êtres au-delà du mur. Essoufflé tout de même par la violence du combat et le nombre de blessures qu'elles avaient réussi à lui infliger, Arès prit le temps de se calmer, de faire redescendre l'adrénaline et d'essuyer le sang sur son visage avant de les regarder de plus près. La fumée rampait pour s'en éloigner, signe qu'elles étaient définitivement hors d'état de nuire. Quant à savoir si elles étaient mortes  ou s'ils pouvaient les ramener à Olympus pour leur rendre leur état normal, ce n'était pas à lui d'en décider. Il activa les messages Iris pour faire apparaître un petit arc-en-ciel. Le visage de Tartare se dessina dans l'air.





Évidemment, Héraclès avait fini le taf avant lui. Même s'il s'était habitué à ce que le héros soit plus fort que lui, il lui arrivait encore de grincer des dents dans ce genre de situations. Oui, il était fort, mais est-ce qu'il était obligé de savoir se battre au point de tout faire aussi vite ? D'un autre côté, il n'avait pas la moindre idée du nombre de chimères qu'Héraclès avait eues à affronter. Peut-être qu'il n'y en avait que deux et que c'était pour ça qu'il était allé aussi vite. Hm. Il garda cette idée en tête avant de rendre à son arme la forme de bagues et de se diriger vers le sud pour porter assistance aux autres.
Officiellement, son tour de garde se terminait dans trois heures. Il serait obligé de rester s'ils n'en avaient pas fini avec toutes les créatures d'ici là, alors autant faire vite. Il aimait peut-être se battre, mais pas au point de perdre sa soirée alors qu'il était là depuis le lever du soleil.

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Il était épuisé. Il était rare que les missions de l'autre côté de la barrière prennent une telle ampleur et il n'avait pas eu un seul instant de repos jusqu'à ce que la relève finisse enfin par se pointer. Il avait laissé les autres prendre le relais sans s'attarder, pourtant il était déjà en retard. À cette heure-ci, normalement, Apollon avait déjà terminé les cours et, après une journée pareille, il avait vraiment, vraiment besoin de le voir.

Par considération tout de même, Arès ne rentrait jamais en armure ou couvert de sang. Il prit donc le temps d'une douche rapide malgré son impatience et enfila une tenue bien plus pratique s'il voulait pouvoir le serrer dans ses bras en arrivant. Ce qui était clairement son premier projet de la soirée. Dire qu'ils étaient ensemble depuis le cycle 2... Dire qu'au début, il avait peur qu'Apollon se lasse de lui. Une éternité plus tard, il était toujours à ses côtés, et rien ne semblait pouvoir les séparer. Ses angoisses de l'époque paraissaient dérisoires.

Et la période où il ne portait que des tenues de sport et des armures paraissait très lointaine. Il sourit du coin des lèvres en rependant au jour où Apollon l'avait embarqué dans une mission relooking. Il était d'humeur un peu nostalgique aujourd'hui, apparemment - les vieux souvenirs n'arrêtaient pas de lui revenir à l'esprit. Mais aussi plaisant que puisse être de se perdre dans le passé, le présent restait beaucoup plus à son goût. Il se dépêcha donc de quitter le poste de garde, passa son arme en bracelet et rentra aussi vite que possible.

Comme il s'y attendait, Apollon était déjà là. l'avantage de ses cours était qu'ils débordaient raement au-delà de ses horaires ; et, de toute façon, ils n'avaient pas les mêmes. Arès rentrait toujours plus tard, quand il n'était pas en garde nocturne.

Il aurait pu prendre le temps de lui dire bonjour ou de lui adresser un mot, mais le poids du manque était plus fort que celui des paroles ; son premier geste en arrivant fut d'attraper le visage d'Apollon dans ses mains et de l'embrasser. Parce que ça faisait trop longtemps.
Oui, une journée sans lui lui paraissait parfois encore trop longue.

Le baiser en lui-même, cependant, ne fut pas bien long. Juste de quoi recharger un peu ses batteries et se remettre des combats.



Une soirée tranquille tous les deux, c'était parfait. D'ailleurs...
Il redressa un peu la tête pour jeter un œil autour de lui. Il y avait des bougies, différence subtile mais faciles à remarquer. Connaissant Apollon et vu les dernières décénies, c'était une date importante. La notion du temps d'Arès ne s'était clairement pas améliorée, surtout dans le cadre de leur relation. Parfois, il avait l'impression qu'ils étaient ensemble depuis des millénaires ; d'autres fois, que ça ne faisait que quelques jours. Le temps fluctuait selon son humeur et son état d'esprit. Il doutait qu'Apollon ait retenu la date de leur rencontre, et ils s'étaient mis en couple en fin d'été, donc si ce n'était ni l'un ni l'autre...



Quitte à ce qu'il boude en comprenant qu'Arès n'avait pas compté les années et les décénies depuis leur mariage, être honnête avec lui avait toujours été la meilleure méthode.
Et puis bon, c'était assez facile de le faire changer d'avis quand il boudait.

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L'addiction avait la vie dure. Leur couple n'était pas parfait en permanence, évidemment - ça aurait été un peu étrange vu qu'ils avaient quand même un certain nombre de différences dans leur caractère et leur mode de vie - mais certaines choses n'avaient pas changé depuis les premiers jours. Le besoin constant qu'avait Arès de sentir la présence d'Apollon à ses côtés en faisait partie. Il rentrait souvent de la barrière épuisé et à bout de force ; rien que quelques baisers et de longues heures passées contre lui ne pouvait résoudre.

Aujourd'hui était un jour un peu différent, cela dit. La décoration, même sommaire, qu'avait installée Apollon était un signe qui ne trompait pas : c'était une date importante. Sauf que même si Arès n'avait eu aucun problème à comprendre qu'il s'agissait de leur anniversaire de mariage, c'était le nombre d'années qui lui échappait.
Le soupir qu'il reçut en réponse lui indiqua très clairement qu'il ne s'en sortirait pas aussi facilement que d'habitude.



Il afficha une moue boudeuse. C'était Tartare qui annonçait la fin des missions, il ne pouvait pas juste quitter son poste et emporter le reste du travail à la maison pour finir la soirée. Dommage, se battre aux côtés d'Apollon avait toujours fait partie des activités aussi rares qu'exaltantes.




Il soupira doucement. Combien de temps, hein... Il aurait sûrement dû pouvoir répondre à la question en un clin d'œil, comme si c'était la chose la pluie simple du monde, mais ça n'était pas si facile. Il fallait que ce soit quelque chose d'assez important pour qu'Apollon décide d'y apporter une attention particulière. La dernière fois qu'il avait voulu fêter l'occasion, c'était quand ? Même ça, il avait du mal à situer. Il avait plus tendance à profiter des bons moments qu'à les classer par date.



S'il avait l'air suffisament fatigué de sa journée, peut-être qu'Apollon aurait pitié de lui et lui donnerait la réponse en boudant.

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Bon, la réponse ne l'avait pas fait bouder. Ça ne l'avait pas non plus convaincu de renoncer à son envie de lui faire trouver la date par lui-même, a priori. D'accord. Donc il devait faire appel à sa mémoire et à sa notion du temps inexistante pour espérer profiter du côté tendre de son cher dieu des arts. Il se laissa entraîner jusqu'à la salel de bain et ne put s'empêcher de sourire. Ouais, Apollon avait peut-être décidé de jouer pour remettre sa mémoire en place, mais il semblait aussi faire bien en sorte de respecter son programme de la soirée.



Il grommelait comme un gamin pris en faute. Malgré son âge, et son évolution depuis l'époque de la Dea Kademeia, certains traits de son caractère étaient restés immuables. L'orgueil en faisait partie. Il savait très bien qu'il aurait dû se souvenir du temps écoulé, mais il ne prenait jamais la peine de compter les jours, les mois et les années. Et il n'avait pas non plus envie d'admettre qu'il avait effectivement "oublié" la date - même si ce n'était pas le terme exact - avant de voir les décorations de la maison.




Il afficha un petit sourire en coin. C'était anecdotique, mais une anecdote qu'il n'arriverait jamais à oublier. Cette phrase, cette soirée... c'était la première fois qu'il avait vraiment senti ses sentiments pour Apollon changer. La première fois que ça l'avait vraiment énervé, aussi. Une très lointaine époque, songea-t-il en posant sa tête contre l'épaule de celui qu'il avait fini par épouser. Un nombre indéterminé d'années auparavant.

Il plongea ses lèvres dans son cou avec un douceur bien loin de l'avidité qu'il exprimait parfois. Il avait simplement envie de sentir sa peau de plus près. Puis il sourit en soufflant contre la trace encore fraîche de son baiser.



Il était clair que le plan d'origine n'impliquait pas de lui sauter dessus - pas tout de suite, en tout cas. Et à vrai dire, avec la journée qu'il avait eue, l'idée de profiter de l'eau chaude avec lui était la plus tentante pour le moment. Arès se défit donc de ses vêtements avant de se glisser dans la baignoire, grimaçant très légèrement quand sa peau encore sensible après les soins d'Hestia entra en contact avec l'eau. Puis il releva la tête.



C'était plus une demande qu'un ordre. Il tendit quand même la main pour attraper la sienne. Là, tout de suite, il avait juste envie de serrer Apollon contre lui et d'enfouir son visage dans son cou pour réspirer son parfum, l'embrasser et le serrer contre lui. Il était véritablement fatigué, après tout. Peut-être que ce moment de tendresse était bel et bien tout ce qu'il lui fallait pour trouver la réponse qu'Apollon attendait tant.

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Il n'avait besoin de rien d'autre. Sa dose de combats et d'adrénaline dans la journée, et la présence d'Apollon le soir. Ils avaient la chance d'être souvent sur la même longueur d'ondes sur l'ambiance de leur soirée, ça facilitait les choses. C'était le genre d'équilibre qu'il n'aurait jamais pensé trouver quand ils étaient jeunes, si tant est que ce mot ait un sens pour des divinités immortelles.

Un petit sourire aux lèvres, il regarda Apollon se déshabiller. L'époque où il détournait les yeux étaient révolue depuis bien longtemps. Maintenant, il pouvait facilement laisser son regard longer les lignes de ses muscles sans rougir ou sans s'emballer. Juste... l'admirer - parce que s'il y avait bien une chose qui ne changerait jamais, c'était qu'Apollon était purement et simplement magnifique. L'injustice de sa beauté exceptionnelle serait toujours présente. Tant qu'il pouvait en profiter tous les jours et l'avoir blotti contre lui dans ce bain de temps en temps...

Arès passa ses bras autour de lui et revint poser ses lèvres contre sa peau. Il ne pouvait pas s'empêcher de l'embrasser, de le toucher, même après tout ce temps. Il ferma les yeux en resserrant doucement son étreinte.



Il avait mis tellement de temps à prononcer ces mots, la première fois. Encore plus de temps à réussir à les dire naturellement quand ses sentiments débordaient. Mais depuis, chaque fois qu'ils franchissaient ses lèvres, c'était à cause du même picotement dans sa poitrine. Ils avaient un goût d'éternité.
Parlant de ça...



Est-ce que c'était une manière un peu moins directe de lui demander depuis quand ils étaient mariés ? Absolument. Il ne se faisait pas d'illusion quant au fait qu'Apollon verrait clair dans son jeu, mais d'un côté... s'il lui disait simplement depuis combien de temps ils étaient ensemble, ça n'était qu'un indice pour qu'il se souvienne plus facilement depuis combien de temps ils étaient mariés. Il pouvait bien lui donner des indices, non ? Ce n'était pas encore de la triche.
Bon, peut-être que dire "on s'est embrassés", alors qu'il l'avait brutalement plaqué contre le mur ce jour-là, était un euphémisme.

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