La raison pour laquelle on le connaissait n'avait jamais été qu'il réfléchissait trop. Pourtant, ces derniers temps, il avait l'impression de s'enfoncer dans une spirale de réflexion qui allait de paire avec sa mauvaise humeur constante. Depuis les événements de l'Île, sa vie avait un peu trop changé, et un peu trop radicalement. Sans compter Apollon qu'il évitait plus que jamais - surtout depuis qu'il s'était encore blessé par sa faute - et dont il n'arrivait malgré tout pas à ignorer la présence ni oublier la chaleur, le peu de liens qu'il avait réussi à créer à l'académie semblait lui filer entre les doigts.

Même s'il rechignait de l'admettre, sa relation avec Perséphone battait un peu de l'aile. Pas parce qu'ils étaient en froid, non, mais il n'arrivait pas à doser la distance à établir avec elle depuis qu'elle lui avait reproché de trop la couver, et il ne voulait pas l'étouffer. De toute façon, ces derniers temps, il ne sortait pas très souvent de son sanctuaire ; il comptait plus ou moins sur les Sollerys et sur Dionysos pour veiller sur elle. Peut-être qu'ils seraient plus efficaces que lui.
Quant à la tension avec Artémis... Il était bien enclin à accepter que c'était de sa faute, parce que leur conflit dans le restaurant n'avait jamais vraiment trouvé de conclusion. Mais entre elle qui devait gérer ses propres démons et questions, et lui qui s'isolait comme il ne l'avait pas refait depuis un bon moment, ce n'était pas prêt de s'arranger.

Le problème, c'est que ce triple changement dans ce qui représentait globalement ses trois seules amitiés sur Olympus ne faisait que renforcer la sensation qui lui nouait les entrailles, celle qu'il n'était pas vraiment le genre de personne à qui on pouvait se lier à long terme. Que ça vienne de lui ou de quelqu'un d'autre, il ne pouvait pas se défaire de l'impression de n'être qu'une relation de passage, quelqu'un dont on se rapprochait quelques temps avant de se concentrer sur quelque chose de plus important. Un sentiment qui lui collait à la peau depuis la Garderie et que son amitié avec Perséphone n'avait pas, contrairemen à ce qu'il croyait jusque-là, réussi à totalement effacer.

En tout cas, le meilleur moyen de se vider la tête - n'en déplaise à la vision d'Aphrodite - restait de se défouler sur quelque chose. Ou en l'occurrence, sur quelqu'un. Ce qui tombait bien, vu que non contents de les voir risquer leur intégrité pendant leurs événements soi-disant "sans danger", les gens de l'école avaient décidé de les faire se battre les uns contre les autres. Ou peut-être que c'était, justement, pour avoir le contrôle cette fois. Peu importe, l'important, c'est qu'il allait pouvoir taper sur autre chose que des mannequins d'entraînement, et ça lui suffisait.
En prime, il y avait globalement peu de chance qu'Apollon décide d'entrer dans l'arène, donc ça lui ferait un moment de répits dans sa fuite permanente. Plus ou moins.

Bref, il s'était inscrit surtout en espérant que frapper des gens lui viderait la tête. Et dans le pire des cas, s'il pouvait être assez épuisé pour dormir d'une traite sans être encombré de pensées parasites, ça serait très bien aussi. Il commençait à sérieusement se lasser des cauchemars que lui avaient laissé les sirènes. Artémis semblait avoir suivi le même genre de raisonnement que lui, puisqu'il l'aperçut parmi les participants. Hm, pourquoi pas. Les Tamarisc communiquaient mieux au combat qu'avec des mots, ça permettrait peut-être de remettre les choses en ordre.

Il soupira quand même quand, pendant l'annonce de début des épreuves, Dionysos annonça très vite qu'il n'était pas seul dans sa petite section privilégiée.
Ouais. Eh bah vivement qu'il puisse commencer à casser des gueules, parce que si ça s'ouvrait avec une interview de la personne dont il n'avait absolument pas envie d'entendre la voix de trop près en ce moment, il n'était pas près de penser à autre chose.

Il aurait aimé avoir la capacité que possédaient certains Tamarisc de complètement se couper du monde pour se concentrer avant de se battre. Il agissait trop à l'émotion pour connaître ça. La brutalité ne s'embarrassait pas de stratégie et même s'il avait tendance à dénigrer et à regarder de haut les gens qui avaient besoin de réfléchir pour se battre efficacement, là, tout de suite, il aurait donné n'importe quoi pour posséder ce détachement. Juste le temps de ne pas entendre la question de Dionysos et la réponse qui suivrait. Parce que les termes "question difficile" ne collaient pas. Arès les connaissait assez, tous les deux, pour savoir qu'Apollon aurait répondu le nom d'Artémis sans ciller, avant. L'expression de la déesse montrait bien qu'elle-même avait noté la différence.

Il tressaillit quand la réponse du dieu des arts mentionna leurs deux noms. Quelqu'un d'autre aurait sûrement réagi ainsi simplement en sachant qu'Artémis n'apprécierait pas ; il la vit même se raidir. Mais il se fichait bien de savoir si elle était vexée ou si c'était la tension entre eux deux qui la faisait tiquer à l'idée de ne pas être la seule mentionnée par son frère, pour la simple et bonne raison qu'il aurait lui aussi préféré qu'elle le soit. Artémis ou Arès. L'idée d'être mis sur un pied d'égalité dans la vision d'Apollon lui laissait la bouche sèche. Ce n'était pas comme ça qu'il se débarrasserait des pensées qui tournaient dans sa tête depuis l'île. Il ne pouvait pas juste se contenter d'encourager sa soeur et le laisser en dehors de ça, franchement ?

Arès se ressaisit avant que les jeux ne commencent. Ce n'était vraiment pas le moment de se laisser distraire. Il observa les alentours avec un soupir. Il savait se battre sans armes, mais il n'aimait pas ça. En toute logique, Artémis n'aurait pas besoin d'aller en chercher une, mais d'autres le feraient sans aucun doute. Le type qui s'amusait à les provoquer en permanence comme s'il essayait de voir les limites de son immortalité, pour commencer. Arès était globalement persuadé qu'il ne risquerait pas grand-chose en allant là-bas. La seule personne capable de rivaliser avec lui en force brute était Héraclès, et il n'était nulle part. En retard, peut-être, ou alors il avait changé de plans ; en tout cas, il n'était pas dans l'arène quand la sirène résonna.

Artémis resta immobile. À quoi bon s'embêter quand elle pouvait trouver une cible et frapper sans même se déplacer ? Arès, lui, resta un moment en retrait. Il jaugea ceux qui se précipitaient dans une direction ou une autre. Il choisit d'aller chercher une arme à peu près au moment où la première flèche fusa pour frapper l'idiot dans le dos. Franchement, s'attirer les foudres d'Artémis dans un lieu aussi exposé et avant de courir comme une proie au milieu d'un cercle n'était pas l'idée du siècle.

Arès ne prit pas la peine de courir. Il marchait vite par nature et il préférait garder son endurance pour frapper plutôt que pour essayer d'arriver avant tout le monde. Le genre d'arme qu'il maniait ne partirait pas dans les premières secondes. Il eut le temps d'avancer, d'entendre une deuxième flèche, de voir le type tomber et d'apercevoir des gens qui commençaient déjà à se taper dessus au centre avant de voir - trop tard - l'oiseau qui fonçait vers lui et de sentir des serres s'enfoncer dans son épaule. Moins violemment qu'il l'aurait cru.

Toi et moi, faut qu'on parle. Elle s'envola avant qu'il puisse répliquer. C'était de famille, de vouloir taper la discute avec lui, ou quoi ?
Bon, en vérité, ça ne leur aurait pas fait de mal de s'expliquer. Il n'aimait pas l'idée de perdre ses amitiés. Et puis, ils étaient des Tamarisc au milieu d'une arène où tout était prévu pour qu'ils se tapent dessus dans la joie et la bonne humeur. C'était le lieu idéal pour parler à leur manière, non ?

Il était assez distrait pour ne pas voir tout de suite la lame qui visait son bras, mais ses réflexes de guerrier firent le travail pour lui et il s'écarta au dernier moment de l'épée. Il serra les dents.



Il n'avait pas d'arme ; il n'en avait pas vraiment besoin. Affronter à mains nues un mec lambda armé d'une épée, ça équilibrait les forces, au moins. Il évita un coup d'épée qui visait un peu trop haut à son goût et frappa de toutes ses forces dans l'os du poignet qui tenait l'arme. Ce fut assez pour faire lâcher prise à son adversaire ; pas suffisant pour lui casser le bras. Dommage. Oubliant les armes et l'objectif de base qui l'avait emmené dans cette direction, Arès laissa son instinct prendre le dessus et faire, enfin, le vide dans sa tête. Il suffisait de frapper et d'encaisser les coups jusqu'à ce que l'autre s'effondre sans pouvoir bouger.

Il ne compta ni les coups qu'il reçut ni ceux qu'il donna. Le problème, quand il frappait pour se défouler, c'était qu'il négligeait sa propre sécurité. Et il affrontait un Tamarisc entraîné au combat, pas un mec sans instinct de survie qui l'aurait provoqué dans un couloir. Il avait autant de sang sur les mains que d'hématomes quand l'autre battit en retraite. Bon, il ne l'avait pas frappé jusqu'à le mettre hors de combat, mais peu importe. Ça faisait un bien fou de pouvoir taper sur quelqu'un sans qu'on vienne ensuite lui faire la morale sur la violence comme s'ils n'avaient pas de quoi soigner tous les dégâts possible et imaginables.

Arès essuya du dos de la main le sang qui coulait entre ses lèvres et prit quelques secondes pour laisser passer le contrecoup du combat avant de reprendre la direction du centre. Il avait juste besoin d'une épée. Ou de n'importe quoi de lourd et d'efficace. Il trouva quelque chose qui ressemblait assez à son arme habituelle pour l'embarquer et s'éloigna de la zone avant que les autres décident d'y revenir. Artémis était bien gentille, à dire qu'elle voulait qu'ils parlent, mais quel besoin avait-elle eu de se barrer à l'autre bout de l'arène après ça ?

Il finirait bien par la retrouver. Elle n'était sans doute pas allée bien loin et elle avait une meilleure vue que lui. Elle se pointerait bien à un moment ou un autre.

Finalement, il repéra Artémis avant qu’elle ne se montre, pour la simple et bonne raison qu’elle se mit subitement à crier sur une fille qu’Arès avait à peine remarquée. La déesse de la chasse l’avait clairement remarquée, elle, étant donné qu’elle tira une flèche presque aussitôt après son coup d'éclat. Arès grimaça. Il n'avait jamais pris de flèche d'Artémis – pas encore du moins – et ça ne donnait pas envie. Il s'estimait chanceux que la seule fois où l'une d'elle lui avait été destinée, elle n'ait eu pour but que de le frôler et pas de le toucher directement.

Elle se détourna malgré tout rapidement de sa cible pour reporter son attention sur lui, et Arès resserra sa prise sur son arme. Il n'avait pas la prétention d'être assez rapide pour arrêter une flèche et il se doutait bien que si elle lui tirait dessus, elle viserait les zones qui n'avaient pas d'armure. Mais il y avait peu de chance qu'elle lui tire juste dessus sans préavis, sinon elle ne se serait pas embêtée à lui parler tout à l'heure. Elle ne tarda d'ailleurs pas à le confirmer en s'approchant de lui. Il afficha un sourire au coin des lèvres.



Il était prêt à abandonner son épée, juste contre elle. Il passa son pouce sur une petite coupure à la lèvre avec un rictus agacé. Les bleus de son combat précédents ne lui faisaient déjà plus mal et il ne sentait plus vraiment les conséquences de cet affrontement, à part l'arrière-goût du sang dans sa bouche. Mais soyons honnête ; il n'avait aucune chance si elle s'amusait à lui tirer dessus, et elle n'en avait pas beaucoup plus s'il l'attaquait à l'épée directement. Un arc était pratique mais c'était tout sauf une arme de proximité. Et a priori le but était de "discuter", autant faire les choses de façon équitable.
L'élève n'était peut-être pas près de dépasser le maître mais l'élève pouvait se transformer en loup, ça équilibrait quand même vachement les chances.



Quitte à régler des comptes, autant les énoncer, ça faciliterait les choses. Il planta son épée dans le sol pour la garder à portée de main si quelqu'un avait l'idée stupide de venir les interrompre, mais son attention se concentra uniquement sur elle. Il n'avait jamais été doué avec les mots ; heureusement, Artémis aussi maîtrisait l'art de discuter avec ses poings.

Ce n'était sans doute pas une bonne idée de la provoquer ainsi. Mais il connaissait Artémis : s'il ne jouait pas un peu avec ses nerfs, elle voudrait se battre sans utiliser ses pouvoirs pour respecter le concept de corps à corps. Ce qui lui donnait, à lui, un avantage étant donné que son talent naturel pour le combat s'activait dès qu'il fermait les poings. Quitte à se battre, autant que ce soit à armes égales, avec leurs pouvoirs dans la balance.

En guise de pouvoir, il se prit surtout une louve de plein fouet. Il avait bien gardé en mémoire leur dernier affrontement de ce genre mais il serra quand même les dents en sentant celles d'Artémis se planter dans son bras. La dernière fois, il l'avait arrêtée avant qu'elle morde, c'était d'ailleurs comme ça qu'il avait failli lui casser la mâchoire. Cette fois, il n'en avait pas eu le temps, elle bloquait parfaitement ses bras et il allait déjà devoir la repousser s'il voulait faire quoi que ce soit.

Il tressaillit en entendant les commentaires dans les gradins. Il avait réussi à les occulter jusque-là, mais le choc contre le sol l'avait un instant déconcentré de son mental et il avait entendu les dernières remarques de Dionysos. Apollon descendait dans l'arène... Il fronça les sourcils pour se reconcentrer sur Artémis. Quelle importance, il venait récupérer le mec qui s'était effondré au sol, il ne prendrait pas le risque de s'aventurer dans la forêt. Le plus urgent, c'était la louve qui bloquait Arès par terre. Il avait l'habitude d'affronter des adversaires humanoïdes - la plupart du temps - mais il avait assez de force pour la déloger. A priori. Il n'eut pas le loisir de vérifier son hypothèse.

Elle lui avait laissé la possibilité de se relever - sans doute que, provocation passé, elle avait décidé de s'en tenir à l'arrangement de départ - mais, finalement, ce ne fut pas lui qu'elle attaqua. Elle bondit sur une personne qui se tenait derrière lui et Arès laissa échapper un grognement agacé. Il ne supportait pas l'idée qu'on puisse le prendre par surprise. Vraiment, ces dernières semaines l'avaient fatigué, s'il en était à ce stade. Ou alors, c'était un pouvoir. Dans son état normal, personne n'aurait pu tenter ce genre de plan sans finir avec une lame dans l'abdomen.

En attendant, la fille était salement amochée. C'était la même que celle sur laquelle Artémis avait crié un peu plus tôt. Eh bien, autant commencer par là. Il récupéra son arme et se plaça aux côtés de la déesse de la chasse. Elle avait ouvert le bal, il ne se priverait pas d'attaquer le deuxième.



Quelle que soit le pouvoir de leur adversaire, il ne la rendait pas plus difficile à frapper. L'épée d'Arès cisailla son bras et la fille ne resta en un seul morceau que parce qu'elle avait bougé au dernier moment. Pas assez vite pour éviter complètement le coup malgré tout. Mais elle n'avait pas d'arme, ça ne prendrait pas bien longtemps de la battre. Il avait presque envie de lâcher la sienne juste pour pouvoir se défouler à coups de poing. Après les semaines qu'il venait de passer, ça lui aurait fait le plus grand bien.

Il se contenta de la satisfaction de pouvoir se battre en sachant qu'Artémis participait au combat dans le même camp que lui et que, cette fois, il ne risquait pas d'y perdre la moitié de ses proches. S'il pouvait s'amuser et renouer avec elle dans le processus, il n'allait pas se priver.



Dans tous les cas, l'infirmerie la remettrait en un seul morceau à la fin. Et il serait très loin quand l'équipe médicale se pointerait.