"It's pique-nique time !»

Il fallait prendre un peu de recul, se dire qu’il pouvait ne plus se sentir seul le mettait mal à l’aise. Pourquoi ? Parce qu’il avait plutôt l’habitude de se tenir loin des autres dans l’espoir de ne pas leur faire du mal, de ne pas ternir leur réputation. Depuis le premier cycle, il cessait de venir vers les autres avec l’espoir de s’en faire des amis et s’il en avait malgré lui, il attendait à tout moment à ce qu’ils le lâchent. Momos souffrait en silence depuis de nombreuses années. Il se laissait croire que son pouvoir était une malédiction, qu’il faisait du mal à autrui rien qu’à sa présence. Dès son arrivée, il avait provoqué de nombreuses victimes, au départ involontairement, puis de son plein gré. Même lorsqu’il ne faisait rien, sa simple présence gênait tout le monde. Il espérait afficher un jour un vrai sourire, ressentir un véritable bonheur.

Mais il y avait Déméter.

Depuis leur petite soirée dans son jardin qui avait pourtant commencé par une vaine tentative de déicide, Momos n’arrêtait pas de la voir pour la taquiner un peu. Elle n’avait pas le droit d’être seule et comme il ne cesse d’embêter ses camarades Lobellus, il venait en faire de même avec elle. Rien de bien méchant ; quelques boutades dans le bus de la faire rougir, quelques surnoms mignons et compliments soudains pour la mettre légèrement mal à l’aise. Une façon de penser à elle et de voir comment elle allait sans que les autres se fassent des idées. Il n’en avait pas encore parlé à Hermès ou glissé quelques mots à Dionysos. Peut-être devrait-il le faire, écouter leurs avis et leurs conseils, mais il craignait qu’hélas il donne trop d’informations qui puissent ruiner la réputation de Déméter. C’était donc un secret qu’il devrait garder dans sa tombe, si un jour les dieux pouvaient mourir bien évidemment.

Posé dans un arbre, Momos sculptait. Il n’avait pas envie de rester enfermé dans sa chambre à surprendre ses camarades à être dans le noir pour faire ses créations. Il voulait prendre l’air, sentir l’air frais du printemps lui caresser le visage. Le bruissement des feuilles l’apaisait et même s’il détestait tant nager, la vue du lac le rendait heureux. Continuant son masque de bois, il ne fallut toutefois pas beaucoup de temps pour voir en dessous une crinière qui ne lui était pas inconnue. Déméter. Son cœur se serra. Elle ne semblait pas l’avoir remarqué, mais la Raillerie comprenait que si elle venait ici, c’était sans aucun doute pour être au calme également. Est-ce qu’il devait la voir ? Non. Il devait respecter les envies de solitudes de chacun, excepté pour les Lobellus qui devraient un peu plus voir du monde selon lui. Mais elle était tout le temps seule… Elle lui en avait parlé la dernière fois, alors peut-être devait-il aller à sa rencontre.

Respirant à peine, Momos se demandait quel était le bon comportement à adopter avec la référente avant de la voir se coucher sur l’herbe, les pieds dans l’eau. Est-ce qu’elle attendait quelqu’un ? Ne fallait-il pas la laisser à son rendez-vous ? Néanmoins, quelque chose le chiffonna ; si Déméter s’était attendrie, il ne fallait pas qu’elle se laisse embarquer dans un quelconque plan d’un homme étrange. Des élèves aux idées farfelues, il y en avait à la pelle. Un lac, une robe blanche… Avait-elle oublié le concours de t-shirts mouillés malgré eux de la dernière fois ?  Alors Momos réussit à descendre de l’arbre dans la plus grande discrétion pour s’approcher de la tamarisc et se pencher au-dessus de sa tête pour la regarder, son masque inachevé sur le visage et la main sur la hanche.

« Si j’étais toi, je n’irai pas me baigner dans cette tenue~ »

"It's pique-nique time !»

Quels aïeux ? Ils pouvaient en avoir dans cette fichue école ?! Momos sursauta mais n’eut pas le temps de se décaler pour éviter d’être une nouvelle fois la victime de Déméter. Se mangeant le sol, il laissa échapper un petit soupir de douleur en se demandant comment on pouvait avoir autant de force avec une si petite taille.

« Si tu pouvais éviter de m’égorger, ça me ferait plaisir. Je doute que je meurs, mais je crois que ça risque de me faire mal un moment. »

Il prit une grande inspiration lorsqu’elle retira ses plantes et qu’elle l’aida à se relever. Soulagé de ne pas avoir été tué sans avoir été pour autant mort par la suite, le dieu de la raillerie remercia la référente avant de retirer le masque pour adresser à sa camarade un grand sourire.

« J’aime aussi les tentacules si ça peut t’intéresser ~ »

Il ignorait si elle allait comprendre ce qu’il voulait dire, mais si c’était le cas, il était prêt à parier qu’elle rougirait. Ce serait adorable et il pourrait de nouveau la taquiner, mais pas trop non plus : il y avait le lac juste à côté d’eux. Voyant qu’elle l’invitait à s’installer à côté d’elle, Momos obéit comme le bon petit chiot-fraise qu’il était, toujours souriant.

« Hé ben, tu aimes te baigner tant que ça ? Tu es sûre que tu n’es pas non-plus la déesse des points d’eau ? Fais gaffe, tu pourrais faire de l’ombre à Poséidon. »

Il regarda les fruits. Des fraises et des figues ? Il souffla du nez, amusé. Il avait l’impression qu’elle n’avait pas oublié ses petits péchés mignons. Toutefois, il grimaça en entendant la proposition. Piquer une tête ? Pourquoi faire ? Nager c’était le mal, nager c’était juste pour survivre en tombant à la flotte. Seules les créatures des cauchemars trouvaient du plaisir à nager.

« Je t’en remercie, mais je n’ai malheureusement pas mon maillot de bain. Je sais que tu veux admirer mon corps presque nu, mais il faudra attendre ~ Par contre je suis déjà secoué comme ça, alors si tu empires mon cas, attends-toi à ce que Zeus vienne te dire quelques mots. »

Il accepta la figue et remercia à nouveau Déméter. Il ne pouvait pas refuser ses fruits favoris, c’était vraiment bon. Il croqua dans le bonbon naturel avant de sourire de plus belle, bien heureux.

« Elles ont l’air meilleure que la dernière fois ! A croire que tu souhaites me rendre accroc à tes figues. »

Il ricana. Il avait de quoi la taquiner un peu non ?

« Il y a même des fraises. Dis plutôt que tu voulais m’invoquer ici. »

"It's pique-nique time !»

Effectivement, elle avait frappé un peu fort. Momos se raidit, faisant la grimace et serrant les poings. Bon sang, qu’elle avait de la force ! Il la regarda ensuite, grimaçant de plus belle.

« Je me demande surtout comment il pourrait réagir en nous voyant tous les deux comme ça. »

Il se mit ensuite à réfléchir. Est-ce qu’il serait facile à invoquer ? Sans doute que oui, sans doute que non. Tout dépendrait de son humeur et de son envie d’enquiquiner les gens. Il serait capable de venir aux moments les plus inutiles possibles pour les laisser en plan la fois où ils auraient à le supplier. Juste pour la blague.

« Je crois qu’il ne serait même pas déçu, je crois qu’il trouverait ça normal en fait… »

Après tout, il en fallait vraiment peu pour être heureux et quelques fruits lui étaient suffisants pour être de bonne humeur. Momos la regarda manger, quelque peu surpris. Quoique, les tamarisc devaient beaucoup s’entraîner, donc ils devaient avoir énormément faim. Cela devait être le cas de Déméter, il trouvait ça adorable. S’il avait un jour l’occasion de cuisiner pour la référente, alors il le ferait. Mais voilà qu’elle se levait pour se déshabiller et aller se baigner… Le problème ? pas qu’elle était quasiment nue mais plutôt…

« Tu es sûre que tu ne devrais pas attendre un moment pour digérer avant de te baigner ? Quoique… les dieux en ont besoin ? »

Une bonne question, mais il ne voulait pas prendre le risque d’avoir tôt ou tard une réponse. Il la regarda, arquant un sourcil. Bon, elle ne lui en voudrait pas s’il ne la rejoignait pas, si ? D’un côté il avait bien envie de s’amuser avec elle, mais d’un autre il préférait rester hors d’un point d’eau. Avec un long soupir, Momos prit son masque et son couteau.

« Je peux te laisser faire mumuse pendant que je termine mon travail, ou tu préfères que je vienne plonger les pieds…que les pieds… ? »

"It's pique-nique time !»