C’était indéniablement l’été, l’astre solaire brillait de tous ses feux dans un ciel d’un bleu limpide. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il faisait chaud, peut-être même un peu trop, au goût de la petite Hébé… Celà ne faisait que quelques minutes qu’elle avait quitté la fraîcheur du dortoir pour aller jouer dehors et elle était déjà couverte de sueur et complètement éreintée.

Il faut dire que ses jeux en solitaire se résumaient surtout à courir dans tous les sens, sauter, grimper aux arbres, faire des roulades… Forcément, sous un soleil pareil, on s’épuise vite, d’autant qu’elle n’avait pas très bien contrôlé son pouvoir en se rajeunissant et au lieu des dix ans espérés, elle en faisait plutôt six. C’était toujours mieux que d’avoir des nichons mais ça faisait des petites jambes et moins d’endurance quand même.

La petite déesse inclina la tête et passa la main dans sa chevelure moite, tandis qu’elle réfléchissait.

« Mais oui ! Je sais ! Il suffit de se baigner ! »

Elle retourna au dortoir en quatrième vitesse pour enfiler un maillot de bain et partit d’un pas décidé en direction de la plage, sur quelques mètres en tout cas. Puis la chaleur reprit ses droits… Son pas se fit moins assuré au fil de la marche et c’est en se traînant qu’elle arriva, hors d’haleine et trempée de sueur. La brise marine eût cependant tôt fait de la revigorer. Sans attendre, la fillette s’élança à toutes jambes, sautant par dessus les corps allongés au soleil, soulevant des gerbes de sable en lançant des « Pardon ! Désolée ! Excusez-moi ! » à la cantonade,  sans pour autant s’arrêter le moins du monde, ni même jeter un regard en arrière.

Sa course effrénée ne prit fin que lorsqu’elle plongea tête la première dans l’océan. Sa frimousse émergea de l’eau quelques instants plus tard, paré d’un sourire plus grand que jamais.

La fillette sortait juste la tête de l’eau, se délectant de la fraicheur de l’océan sur sa peau après sa longue marche sous un soleil brûlant, quand elle entendit un sifflement venant de la plage. Elle tourna vivement la tête en direction du bruit, projetant des gouttelettes d’eau tout autour pour apercevoir Momos, les pieds dans l’eau, qui cherchait à attirer son attention.

« Tu ne pars pas trop loin d’accord ? »

La gamine leva les yeux et s’apprêtait à soupirer d’agacement quand elle entendit la suite de la phrase. Ses yeux s’arrondirent et, de nouveau, un large sourire étira ses traits alors que, dans son esprit, se formait l’image d’une multitude de mini-poussettes en coquillages , chacune garnie d’un bébé crevette avec une tétine dans la bouche. Elle se précipita vers le jeune dieu aussi vite que ses petites jambes ne lui permettaient et se planta devant lui.

« Je sais nager hein, tu sais ! J’suis pas un bébé ! Enfin pas tout à fait… bon j’y ressemble, c’est vrai, mais je sais c’que j’fais hein ! » lâcha-t-elle, sourcils froncés, en se dévissant le coup pour le regarder, avant d’enchaîner, de nouveau souriante et sautillante, comme si sa précédente contrariété n’avait jamais existé.

« Dis, dis, c’est vrai que Poseidon, il a un élevage de crevette ? C’est grand comment ? Ça ressemble à quoi ? On peut aller le voir ? Tu sais nager non ? On y va alors ? Montre moi où c’est s’il te plaît. Ça à l’air trop marrant ! Allez, je veux voir steuplééééé.»

Visiblement, l’idée de l’élevage de crevette avait effectivement réussi à détourner son attention, pour le meilleur et pour le pire.

A mesure que Momos parlait de l’élevage de Poseïdon, l’image mentale de la petite Hébé se précisait. Elle visualisait le roi des océans assis sur un trône de coquillages, avec des bébés poissons, crabes et crevettes sur les genoux, en train de leur lire une histoire avant de les border en leur faisant un bisou sur le front. Elle pouffa de rire à cette idée.

« J’imaginais pas du tout Poseïdon comme ça ! D’ailleurs, faut que je trouve une idée pour le remercier, il m’a sauvé des sirènes quand même ! »

Elle marqua une pause et pouffa à nouveau en imaginant un Zeus enrhumé, foudroyant tout ce qui passait à proximité à chaque fois qu’il éternuait…

« Ahahaha ! Pauvres tortues ! Mais bon, ça me concerne pas du tout ça, moi ! C’est pas comme si je pouvais faire le moindre mal à des bébés hein… Tout ce que je sais faire c’est rajeunir d’te façon ! Ils craignent rien avec moi, on trouvera bien un moyen de se faufiler, même si c’est interdit ! »

L’idée que tout cela puisse n’être qu’un mensonge ne l’effleura pas même une seconde, après tout, la crédulité était un des traits de l’enfance, pas plus d’ailleurs que ne l’avait effleurée le paradoxe qu’il avait à vouloir remercier le Dieu des mers tout en violant une de ses propriétés.

En revanche, elle avait comme l’impression que Momos voulait à tout prix l’éloigner de l’océan. Elle pencha la tête sur le côté et plissa les yeux d’un air inquisiteur, ce qui, avec sa petite bouille de bambin, était plus comique qu’autre chose.

« Dis donc, tu serais pas en train d’essayer de m’éloigner de l’eau toi ? Qu’est-ce ça cache ? Il y a une surprise là-dessous ? C’est quoi sinon ? Vous avez fait une blague et tu fais le guet pour les autres ? Quoi que ce soit, je veux en être ! Allez sois sympaaaaa ! »

Elle aurait tellement aimé qu’Hermès soit là, elle était sûre qu’il aurait compris ce qui se tramait en un claquement de doigts. Et pis il jouerait pas les papa poules, lui, au moins… Bon ceci dit… si une blague se tramait effectivement sous l’eau, il y avait fort à parier que le jeune Dieu du voyage était déjà impliqué, d’une manière ou d’une autre…

La petite Hébé avait hoché la tête d’un air distrait quand le jeune Dieu avait vanté la sensibilité du seigneur des Océans. Pas qu’elle remette en doute la véracité des propos hein mais, pour être honnête, ça lui passait complètement au dessus. Ça voulait dire quoi sensible d’ailleurs ? Tous les êtres vivants étaient sensibles, juste pas aux mêmes choses… donc Poseidon était juste normal en fait…

En revanche lorsque que Momos se mit à extrapoler sur son pouvoir, elle éclata franchement de rire.

« T’es bête Momos ! Évidemment qu’elle va pas éclater ! Les bébés oeufs, ils vont rajeunir aussi jusqu’à ce qu’ils soient plus que… j’sais pas… une idée ? Ou un souvenir ? Tu vois quand je rajeunis un pommier, y a tout qui rajeunit, les pommes redeviennent des fleurs, des bourgeons puis ça rentre dans les branches, et puis les branches, elles rentrent dans le tronc et puis le tronc, il rétrécit. Ça devient une petite pousse ou une graine mais il explose pas à cause des pommes. Donc la tortue, elle explosera pas non plus. Et si je ramène le pommier à son âge d’origine, ben il a à nouveau des pommes donc même si je rajeunis la tortue enceinte par accident, je la ramène et puis pouf ! Elle a de nouveau ses bébés, tu vois ?  C’est logique ! » conclut la gamine dans un grand sourire.

C’est là que Momos décida de s’emparer de ses joues pour la faire parler comme une petite marionnette joufflue. Et la jeune déesse ne semblait pas particulièrement satisfaite de ce traitement. Sérieusement, ça vous plairait à vous ? Elle secoua la tête et battit des mains pour se dégager.

« Heyyy mais arrêteuuuh ! Ok, c’est bon, j’ai compris. Tu prépares pas de blague… »

Elle se dégagea, sourcils froncés, une petite moue boudeuse sur les lèvres et croisa les bras d’un air butė.  Pendant… houlà… au moins trois secondes, hein ! Le temps qu’il avait fallu à Momos pour lui soumettre son idée de cadeau pour le Dieu des mers. Sa petite frimousse se para de nouveau de son large sourire et elle commença à sautiller dans l’eau.

« Mais c’est génial Momos ! Tu ferais ça pour moi vraiment ? Un sifflet à crevettes, j’y aurai mais alors jamais pensé ! Tu crois vraiment que ça va lui plaire ? Ça se sauve si loin que ça les crevettes ? Et Posé, il a pas genre un super pouvoir pour faire obéir les animaux marins déjà ? Ça me paraîtrait logique pourtant… Remarque je fais pas obéir les enfants non plus donc bon… Bon alors, t’as besoin de quoi pour le fabriquer du coup ? Faut que j’aille chercher un truc ? Tu le sculptes dans quoi le sifflet ? Genre du corail ?  Ou du bois flotté ? »

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne manquait pas d’enthousiasme…

La fillette écoutait Momos avec toute l’attention dont elle était capable. C’était vachement sympa de sa part de l’aider comme ça, sans raison particulière… La déesse de la jeunesse nota dans un coin de son esprit qu’on ne pouvait pas sculpter un sifflet dans du corail… L’intérêt d’une telle information était relatif, elle n’en aurait probablement jamais besoin de sa vie mais… bah les sifflets c’est cool quand même, c’est marrant ! Elle hocha vigoureusement la tête à la proposition de Momos.

« Ouais ok ça marche ! Mais j’pense que le bois flotté ce serait mieux que du bois normal, enfin si c’est possible de sculpter dedans évidemment. Parce qu’un sifflet fait dans du bois blanchi par le sel marin, ce serait plus… plus euhh… plus proche de l’essence de Poseidon non ? Comme un écho un peu… Bon ! C’est toi qui sais, je te fais confiance pour choisir le bois qui va le mieux ! Je vais chercher les coquillages, à t’à l’heure ! »

La gamine partit à toute vitesse, faisant gicler du sable partout autour. Plusieurs voix contrariées s’élevèrent en signe de protestation alors qu’elle slalomait entre les corps en train de griller au soleil, elle avait jamais compris ça d’ailleurs… Ils se prenaient pour des chipolatas les gens ? Une fois que c’est bien cuit d’un côté, on se retourne… Ça sert à quoi franchement ? Bref, elle avait dû les déranger dans leur cuisson et ils étaient pas très contents quoi. Elle s’interrompit un instant et s’inclina rapidement en guise d’excuse.

« Désolée ! » lança-t-elle d’une voix joyeuse avant de se redresser et de reprendre sa course.

Elle cherchait quoi déjà ? Ah oui, c’est vrai ! Des coquillages ! Hébé s’arrêta de courir sur une bande de sable humide, la vague venait de se retirer, ce qui laissait un peu de temps à la petite pour chercher ses trésors. Et ensuite… quand la vague reviendrait, bah elle serait mouillée… mais c’était bien le but de la plage non ?

Elle avait déjà amassé une petite collection de jolies coquilles nacrées lorsqu’une voix familière s’éleva au dessus d’elle. Elle leva le nez et adressa un de ces  sourires rayonnants dont elle avait le secret à la déesse des cultures.

« Salut Demy ! Ça te va super bien le maillot de bain, t’es trop belle ! Moi ça va super, tout se passe très bien, je cherche des coquillages pour la décoration d’un sifflet à crevettes ! C’est Momos qu’a eu l’idée et c’est lui qui va le sculpter, il est trop fort Momos. C’est pour remercier Poseidon, tu vois… Parce qu’il m’a sauvé des sirènes. Et toi ça va ? T’es encore venue pour travailler du coup… Est-ce que tu t’amuses au moins des fois ? »

Comme la déesse avait commencé à s’éloigner, la petite Hébé avait ramassé ses trésors a la hâte et trottinait à côté de Demeter tout en lui expliquant que c’était vachement important de s’amuser et lui racontant par les détails toute l’histoire de l’élevage de crevettes que Momos lui avait contée quelques temps auparavant…

Ils arrivaient à côté du jeune dieu de la raillerie lorsque qu’un crabe attira l’attention de la petite déesse. Elle l’observa quelques instants, ça la faisait toujours rire, la façon dont cette bestiole se déplaçait ! Quelque chose scintilla dans le sable près des pattes du crustacé, la fillette s’accroupit pour le dégager, quoi que ce soit, ça brillait donc ça pouvait faire une bonne décoration peut-être. Elle se concentra sur son ouvrage pendant que Demeter engageait la conversation avec Momos. Elle tendit l’oreille tout de même, l’air de rien… Les ragots peuvent avoir une certaine valeur quand on traite beaucoup avec Hermès…