Les rayons de l’astre lumineux s’abaissaient, venant caresser les toits d’or et les arches de marbre. Un vent chaud soufflait l’herbe en cette fin de journée et les oiseaux allaient trouver leur nid pour s’y loger. La déesse des sortilèges observait le soleil défaillir avec un léger sourire au coin des lèvres. Il était l’heure. Il ne fallait pas attendre beaucoup plus longtemps pour qu’elle ne récupère deux nouvelles bouteilles dans sa collection. Inutile de s’encombrer de son kit à cocktail puisqu’elle en avait laissé un autre dans la chambre d’Héra. Étant donné la régularité de leurs petits rendez-vous hebdomadaires, les deux amies avaient convenu qu’il était plus pratique de laisser le nécessaire de mixologie sur place. Et puis, étant donné le minibar que possédait Héra, les choses étaient vite décidées. Bon sang, elle avait un minibar ! S’il y avait bien une chose qui manquait dans la chambre de Circé, c’était bien ça. Enfin, heureusement, elle pouvait tout de même en profiter. Cela permettait de réduire une partie de sa frustration de ne pas l'avoir directement sous la main.

D’un pas chaloupé, la déesse traversa le couloir du dortoir pour rejoindre l’antre de sa référente. Elle était d’humeur joueuse ce soir. La petite fête de la veille avait été un véritable nid à potin et il était de son devoir de les rapporter aux oreilles de son amie. C’était, bien évidemment, à des fins purement informatives. Loin d’elle l’idée de vouloir créer du drama.
Un petit rire léger traversa ses lèvres en pensant à cette idée. L’ironie était une chose qu’elle appréciait.

La jeune fille cala les deux goulots des bouteilles entre les doigts d’une même main tandis qu’elle toquait à la porte de l’autre. Ce fut sans attendre une réponse qu’elle ouvrit pour s’inviter dans la chambre de sa référente. En réalité, leurs petites soirées étaient si habituelles qu’elle ne frappait que pour la forme désormais. Dans un geste fluide à la limite du théâtrale, la déesse entra. Il ne suffit que d’un petit tour sur elle-même pour refermer derrière elle et se tourner vers Héra. Le sourire aux lèvres et le menton relevé avec fierté, elle s’annonça :

- Bonsoir, ma grande ~

Son talon claqua sous les premiers pas qu’elle entama dans la chambre.

- J’espère que tu es en forme parce que...

La déesse arrêta net son récit en ressentant quelque chose dans l’air. Une aura qu’elle n’avait pas remarquée dès son arrivée, mais qui lui semblait un peu plus flagrante maintenant qu’elle avait posé les yeux sur son amie. Hm. Elle jurerait que quelque chose ne va pas. Sans réellement perdre son sourire ou son air joueur, elle haussa tout de même un sourcil en dévisageant la déesse du mariage. Le bout de ses doigts qui ne tenaient pas les bouteilles s’agitèrent légèrement avant de glisser dans ses cheveux pour les renvoyer vers l’arrière. Clairement, quelque chose n’allait pas. Elle ne savait pas encore de quoi il était question mais après le nombre de cycles qu’elle avait passé dans le paysage d’Héra, elle commençait à bien la connaître. Et cette petite bouille-là, c’était une bouille qui n’allait pas spécialement bien. Ce n’était pas le fond du gouffre mais quelque chose avait sûrement contrarié son ami.
Circé poussa un petit soupir amusé. Bien, elle garderait ses potins pour une autre fois.

- Bon, j’imagine que ces deux bouteilles supplémentaires tombent à pic, lança-t-elle d’un ton taquin alors qu’elle se dirigeait déjà vers le mini bar pour installer son matériel à cocktail, Un chargé, je suppose ?

La jeune déesse ne perdait pas de sa légèreté. Contrairement à sa référente, elle avait passé une bonne journée et ce n’était pas dans ses habitudes de tomber en empathie pour son entourage. Cependant, elle n’avait aucun mal à discerner les moments où elle devait être un soutien plutôt qu’une pétasse. Et puis, si contrariété il y avait du côté d’Héra, épaule pour râler il y aura de celui de Circé. Il était donc parfaitement exclu de lancer la soirée sans un cocktail bien fort en alcool. Tout allait mieux avec une bonne dose d’alcool.

La jeune femme alignait déjà ses bouteilles pour y voir clair, les rangeant dans un ordre précis qu’elle ne pouvait s’empêcher de répéter à chaque fois. C’était un petit tic qui était devenu un automatisme avec le temps et qui lui servait de repère. Une fois son kit de mixologie déposé sur la table du minibar, elle se tourna vers Héra, un sourire aux lèvres, et désigna ses bouteilles d’un geste de main.

- Qu’est-ce qui te fait envie, ce soir ?, demanda-t-elle d'une voix presque mielleuse.

C’était pour les petites attentions de la déesse du mariage que Circé ne pouvait qu’apprécier la récurrence de leurs soirées. Se sentir privilégiée d’une façon ou d’une autre avait pour la maîtresse des sortilèges la même saveur que de l’ambroisie fondant sous la langue. Oh, elle appréciait trouver une façon de l’être pour tous ceux qu’elle jugeait digne de son attention. La méthode variait en fonction de la personne en face et de l’humeur de la déesse. Mais avec Héra, c’était particulier. Leur relation en elle-même était particulière. Circé avait bien conscience que son amie était la reine de leur Sanctuaire. S’attirer ses faveurs et être dans ses bonnes grâces avaient quelque chose de particulièrement grisant. Et si, les premières fois, l’idée était bien intéressée, la déesse du mariage avait su apprivoiser celle des sortilèges. Circé ressentait un réel respect pour son amie et une loyauté sans faille. Elle laisserait s’abattre son courroux sur quiconque aurait l’audace de lui faire du mal. Après tout, Circé était la seule auto-estimée comme ayant le droit de lui tirer dans les pattes. Et visiblement, ce privilège n’en était plus un puisque quelqu’un avait atteint l’humeur d’Héra. Son identité serait découverte bien assez tôt. Il suffirait de quelques verres et une bonne séance de commérage pour délier la délicieuse langue de la Reine.

- Surprends moi, un truc corsé, mais j’te fais confiance tant que tu lésines pas sur la dose !

Le sourire pétillant de la déesse s’élargit face à la commande de son amie. Elle aimait qu’on lui donne carte blanche pour ce genre de chose. Beaucoup de gens avaient une tendance à la méfiance lorsqu’elle commençait à mélanger des produits et à raison puisqu’elle pouvait à tout moment abuser de son pouvoir. Il était agréable d’avoir quelques personnes capables de lui faire confiance les yeux fermés.
Alors qu’Héra reculait pour trouver son fauteuil, Circé claqua des doigts en réponse à ses paroles comme si ce son indiquait que le cocktail serait près avant même qu’elle ne puisse s’en apercevoir. D’un mouvement net, elle se tourna pour faire face à son matériel et balaya les différentes bouteilles disponibles d’un regard aiguisé. Quelque chose de fort mais réconfortant. Pour sa petite bouille blonde renfrognée. C’est dans un petit fredonnement que la déesse des sortilèges entama le cocktail de son amie. Elle y incorpora de la crème de coco, une cuillère à café de crème fraîche liquide pour une texture plus onctueuse, un peu d’eau de fleur d’oranger et du jus de litchi. Puis la partie la plus importante. L’alcool. Alors alors… L’alcool de rose serait très bien. Pas mal fort. Si elle en mettait une bonne dose, elle devrait ravir le palais de son amie. Les petits ustensiles glissaient entre ses doigts agiles alors qu’elle dosait tous les ingrédients dans le shaker. Mélanger avait toujours quelque chose d’assez agréable. C’était le moment où le cocktail prenait entièrement forme avant d’être dégustée.

Fière d’elle, la déesse présenta sa création à son amie et la laissa attraper le verre. Elle observa Héra le temps qu’elle goûte à son breuvage pour scruter son appréciation. La première gorgée suffit à tirer un soupir de contentement à la reine des Sollerys ce qui fit briller l’étincelle de fierté plus fort dans la poitrine de Circé.

- Putain, t’es par-faite, sweatheart.

L’entente de son petit surnom privilégié couplé au terme « parfaite » tira un sourire plus éclatant à la déesse qui se contenta d’un mouvement d’épaule charmeur tout en haussant un sourcil comme si sa perfection était une évidence. Et elle se tourna à nouveau, faisant voler ses longues mèches de jais dans le mouvement pour retrouver ses ustensiles. Hmm… Pour elle, quelque chose de simple. Une bonne dose d’alcool également, mais pour la seule raison qu’elle avait bien envie de se mettre un coup dans le nez.
À l’évocation de la soirée de la veille, la jeune fille eut un petit soufflement amusé en repensant aux événements. Hm. Bon, elle mettrait donc la mauvaise humeur d’Héra de côté pour l’heure et se contentera des potins. De toute façon, il était certain que son amie finirait par craquer et lâcher le morceau, inutile de l’embêter en tentant de gratter sous le masque. Tout en préparant son propre cocktail, la jeune femme leva le nez en signe de réflexion pendant une courte seconde pour ne pas perdre des yeux trop longtemps le dosage de son alcool.

- Il y avait ce garçon, Icare. Il s’est mis dans la tête de faire léviter un groupe entier de personne.

Un sourire amusé étira ses lèvres alors qu’elle quittait le minibar, verre à la main. Elle laissa planer un léger silence avant de rependre, comme l’on faisait attendre un peu avant la chute d’une blague.

- En fin de soirée. Après que tout le monde ait bien bu.

Nouveau silence de circonstance avant qu’un rire cristallin n’échappa à la déesse.

- Je te le donne en mille, y en a certains qui n’ont pas supporté le manège. C’était un carnage !

Quel enfer d’avoir une ou deux personnes de malade alors qu’ils flottaient comme des ballons de baudruche. Malheureux étaient les autres étudiants à subir le sort d’Icare et les relents des malades au trop plein d’alcool. Fort heureusement, la déesse des sortilèges savait éviter ce genre de désagrément pour mieux s’en moquer sans ébranler son ego. Et puis, elle pouvait ensuite le retranscrire à Héra en toute sérénité.
La jeune femme s’assit sur le fauteuil en face de celui investi par son amie. Elle poussa un soupir moqueur en prenant une gorgée de sa boisson. Incapable de retenir son sourire, elle poursuivit :

- Je plains le service nettoyage après. Entre ça et la petite orgie de l’étage… Ouais, t’as loupé pas mal de chose, ma grande. Et moi alors, qu’est-ce que j’ai loupé de ton côté ?

Son regard s’éveilla, toute ouïe de pouvoir entendre ce qui avait mis Héra de mauvaise humeur. Bon, elle aurait pu s’étendre un peu plus sur la soirée chaotique de la veille, mais étrangement, les états d’âme de son amie lui semblaient beaucoup plus intéressants que la petite beuverie des Helyantos.