Clairement, garder son calme n'avait jamais été son truc, et accepter une défaite qu'il n'avait vraiment pas envie d'expérimenter encore moins. Il n'était pas toujours mauvais perdant, ça lui arrivait quand même plus ou moins régulièrement de se contenter de grogner dans son coin quand il se faisait battre sur un jeu ou un sport, mais celle-ci était différente. Parce que ce qu'il y avait en jeu ne lui plaisait pas et Artémis avait beaucoup trop joué avec ses nerfs au cours de la partie.
Bref, c'était comme ça qu'il s'était retrouvé à casser en deux la table de ping pong du panthéon Tamarisc.

Rien d'irréparable, elle serait sûrement remplacée avant que qui que ce soit n'ait vraiment le temps de regretter son absence - à supposer que la magie des lieux ne l'ait pas déjà réinitialisée. Ce qui était nettement plus grave, et n'arrangeait pas son humeur, était l'état de sa main. Il ne s'attendait pas à ce que cette stupide table soit aussi solide. Plus on est fort, plus on tape fort, plus on a de chance de fracturer quelques os au passage.

Il ne savait pas à quel point il s'était blessé - c'était rarement au cœur de ses considérations - mais il savait que ce serait une très mauvaise idée d'aller voir Hestia pour régler son problème. Ca ne ferait que lui en attirer plus. Sans compter qu'il était dans son cours et qu'il n'avait pas spécialement envie qu'elle lui colle des devoirs supplémentaires en guise de punitions pour son éclat de colère. Elle avait été à la garderie avec eux, savoir qu'elle avait autant d'autorité que les dieux primordiaux lui restait en travers de la gorge.

Alors au lieu de ça, il avait cherché une autre âme compatissante pour l'aider avec sa blessure et, accessoirement, à qui il pourrait déblatérer cette histoire sans risquer de se remettre trop en colère. Perséphone avait pour elle d'être l'une des rares personnes capables de l'apaiser. Il ne savait pas trop si c'était son pouvoir, le fait qu'elle l'avait aidé plusieurs fois ou toutes les choses qu'elle savait suite à tout ça, mais il était content de ne pas s'en être fait une ennemie. Cela dit, la trouver seule n'était pas toujours facile.

Il connaissait cependant suffisamment son caractère et ses goûts pour espérer avoir une chance raisonnable de la trouver dans les jardins de printemps, tout en espérant qu'elle ne soit pas accompagnée. Ses rencontres avec Perséphone étaient souvent des moments de faiblesse, qu'il le veuille ou non, donc moins il y avait de témoins, mieux il se portait. Il finit par repérer sa chevelure rose familière dans un coin un peu à l'écart du jardin.



Il grimaça en serrant légèrement sa main blessée dans l'autre. La prochaine fois, il taperait sur quelqu'un - les conséquences faisaient généralement moins mal.

Il l'avait trouvée, sans surprise, assise au milieu d'un tapis de fleurs. Difficile de savoir si c'était elle qui les avait fait pousser ainsi ou si elles étaient déjà là avant qu'elle arrive. Perséphone avait une affinité particulière avec les Jardins de printemps, après tout, en toute logique. Ça ne l'aurait même pas surpris que toute la région prenne vie et s'emplisse d'encore plus de couleur dès la seconde où elle y mettait les pieds, comme pour l'accueillir et la chouchouter. Elle ne se faisait pas appeler Déesse du printemps pour rien.

Parfois, il l'enviait un peu. Il n'avait pas d'endroit comme celui-là, parfaitement conçu pour lui correspondre. Les salles d'entraînements s'en rapprochaient, mais c'était quand même différent. Tout ici semblait avoir été créé pour elle, ou par elle, un petit paradis personnel. Même les chambres ne pouvaient pas être aussi parfaitement adaptées.



Manière indirecte mais parfaitement claire, le connaissait, de dire qu'il avait passé sa frustration sur la première chose qui était passée à sa portée. La défaite était une chose, mais ses petites provocations pendant tout le match n'avaient clairement pas contribué à lui faire garder son calme au moment où la déesse de la chasse avait atteint les onze points fatidiques.



Il disait toujours ça. Il aurait pu courir sur une jambe cassée et prétendre que "ça piquait juste un peu", donc ses paroles étaient à peu près aussi fiables que sa patience. Réprimant malgré tout une nouvelle grimace, il s'installa avec elle au milieu des fleurs, prudent comme il l'était rarement pour éviter de trop les abîmer. Par respect pour Perséphone, quand il la dérangeait dans un lieu pareil, il évitait de tout détruire au passage. Heureusement, il n'avait pas son armure sur lui, ça diminuait d'autant le poids infligés à ces pauvres plantes.

Il relâcha la main blessée qu'il tenait depuis qu'il avait quitté le Panthéon Tamarisc. Ça n'avait pas enflé, donc il n'avait peut-être rien de cassé, finalement. Sauf qu'il avait très nettement entendu un craquement quand il avait bougé les doigts après le boucan de l'effondrement de la table. Et il avait mal. Donc quelque chose n'était clairement pas à sa place.
Comme lui dans un champ de fleurs, finalement.

Dire qu'il était de mauvaise humeur uniquement à cause d'Artémis tenait un peu de la mauvaise foi. Certes, elle ne s'était pas privée niveau piques et son petit moment d'inattention où elle s'était inquiétée pour lui lui avait tapé sur les nerfs, autant que sa petite démonstration de pompom girl quand il lui avait dit qu'elle manquait d'originalité, mais la défaite et ce qu'elle lui imposait avaient joué aussi dans l'émotion qui avait terminé par un coup de poing à travers la table de ping pong. Le gars qui ne s'était pas privé de lui faire des remarques aussi, mais à ce stade Arès commençait à soupçonner une certaine forme de masochisme, vu comme il insistait pour le mettre en rogne.



Et malheureusement, même son pouvoir ne l'empêchait pas de se blesser quand il cognait de toutes ses forces sur un objet inanimé. La force brute qu'il était capable de mettre en oeuvre était supérieure à la résistance que lui procurait son pouvoir. Il s'installa dans les fleurs pour laisser à Perséphone tout le loisir d'examiner sa blessure. Il haussa simplement les épaules quand elle mentionna son état.



Il n'avait pas l'impression que ce soit si grave que ça. D'accord, il avait déplacé quelques phalanges, ça ne voulait pas dire qu'il allait y perdre sa main. L'orgueil jouait un rôle, très certainement ; sa résistance naturelle aussi. Il avait tendance à moins ressentir la douleur que les autres.

Arès observa en silence la fleur qui poussait autour de sa blessure. Le pouvoir de Perséphone était intriguant. Bien plus subtil que le sien, qui pouvait se résumer à taper fort et encaisser plus de coups, c'était le genre de capacités qu'il avait du mal à vraiment comprendre. Comment pouvait-elle contrôler un truc pareil avec une telle efficacité ? Il tiqua légèrement quand ses os commencèrent à lentement se remettre en place.



Bien sûr, leurs parties étaient loin d'être pacifiques en permanence. Cependant, il parvenait à contenir sa violence la plupart du temps. Là... même lui avait du mal à comprendre pourquoi la défaite l'avait autant énervé. L'accumulation de toutes les petites provocations - volontaires et involontaires - au cours du jeu, sans doute.



À croire que le panthéon l'avait vu venir et avait décidé de tenter de lui résister, pour la forme.

Oui, bon, ce n'était effectivement pas une raison valable de minimiser ses blessures, mais il n'avait jamais été très sensible à la douleur et il ne tenait pas à s'appesantir sur le sujet. Perséphone était par nature protectrice, s'il commençait à se plaindre, elle allait s'inquiéter. Bon, s'inquiéter plus que ce qu'elle faisait déjà. Il n'avait pas envie ou besoin de ça pour le moment. Quelques phalanges déplacées, ça allait encore. Il taperait moins fort la prochaine fois.

Il observa les soins sur sa mains avec une moue perturbée. Il avait beau l'avoir vu des dizaines de fois, l'effet du pouvoir de Perséphone avait toujours le don de le laisser muet quelques secondes. Il reprit cependant vite la parole pour répondre à cette question. Mentionner Artémis tenait un peu de la mauvaise foi. Oui, c'était à cause de leur match qu'il s'était blessé et qu'il s'était énervé, mais elle ne l'avait pas non plus poussé à bout volontairement. Prétendre qu'elle était responsable de son état aurait été exagéré.



Retour arrière. Qu'est-ce qu'elle venait de dire ? Se cacher derrière ça pour ne pas admettre... qu'elle lui plaisait. Il haussa un sourcil comme si elle venait de lui annoncer qu'elle voulait épouser Zeus. L'improbabilité de sa question lui avait fait le même effet. Il resta un instant interdit, les yeux un peu écarquillés, jusqu'à ce que son esprit tente d'imaginer ce genre de lien entre lui et Artémis ; il secoua la tête pour chasser l'image. C'était trop perturbant.



Bon, bien sûr, ça aurait été mentir de dire qu'absolument personne ne lui plaisait jamais. Mais pas Artémis. Et honnêtement, même dans les autres cas, il préférait largement mentir. Il n'était pas comme elle, qui avait d'y penser, parfois. En fait, Arès et Perséphone étaient tellement différents que c'était assez surprenant qu'ils aient réussi à devenir amis.



Il était plus énervé d'avoir perdu qu'en colère contre la déesse, même s'il préférait prendre le temps de se calmer avant de reparler de cette histoire d'entraînement. Ça, franchement, ça le soûlait pour de bon. Il ne revenait cependant jamais sur sa parole, alors il tiendrait sa part du marché. En faisant la gueule, certes, mais il la tiendrait.



Son tempérament n'était pas vraiment un secret, il ne craignait pas trop ce que pouvaient en penser les dieux primordiaux. Juste assez pour préférer des soins clandestins à une visite officielle du côté de l'infirmerie.

Sa réaction avait peut-être été un peu trop choquée. Les excuses de Perséphone lui tirèrent une petite pointe de regret. Bon, elle rougissait aussi pas mal parce qu'il avait fait allusion aux quelques fois où il l'avait surprise à rêver de romance, ce qui la rendait adorable. Comme souvent, en fait, elle avait un don pour être mignonne.



Juste quelque chose de totalement improbable et incongru mais dans les faits, il n'était ni offusqué ni vexé ni quoi que ce soit d'autre. Dans quelques heures, il en rirait en y repensant. C'était quand même une drôle d'idée. Lui et Artémis... Non, vraiment, c'était totalement impossible. L'amitié-rivalité qu'il avait avec elle était de toute façon bien plus intéressante. Ça leur correspondait bien.



Comme elle. Perséphone était à la prudence ce qu'il était à l'impulsivité. Ce n'était pas un mal en soi, juste quelque chose qui les rendait très différent l'un de l'autre. Cependant, tout le monde a besoin de quelqu'un de différent pour ne pas s'enfermer dans son propre modèle, donc il voyait ça comme quelque chose de positif. Sans compter que Perséphone lui rendait quand même souvent service ; si elle avait été comme lui, elle se serait contentée de lui dire d'attendre que la douleur passe et il serait sûrement en moins bon état aujourd'hui.



Il haussa un sourcil. L'aider avec l'autre partie de son pouvoir ? Il n'y connaissait pas grand chose et il voyait mal comment lui être utile. Avec tout ce qu'elle faisait pour lui, cela dit, il pouvait bien essayer... Ça aurait été abusif, même pour lui, de ne pas essayer un minimum de lui rendre la pareille.



Enfin si, il connaissait bien la sensation de sa capacité de soin, mais ça n'était pas le sujet de sa demande.

C'était étrange, de se dire que les gens considéraient comme une bonne idée de lui demander de l'aide. Il était peut-être orgueilleux, mais il avait un soupçon de lucidité ; assez pour savoir qu'il n'avait pas la patience nécessaire pour donner des conseils et attendre qu'ils portent ses fruits. Du moins, il ne s'en estimait pas capable. Mais avec tout ce que Perséphone avait fait pour lui, il voulait bien tenter d'une manière ou d'une autre de lui rendre service - il avait déjà assez de dieux à dos sans commencer à perdre en plus le peu avec qui il s'entendait bien.

Cependant, il peinait à voir en quoi il pouvait lui être utile, et la timidité de la déesse du printemps ne permettait pas de se faire une idée. Visiblement, cette partie d'elle lui posait problème, assez pour qu'elle n'entre pas dans les détails en explications. Ce qui, en soi, n'était pas forcément bon signe, surtout avec le peu qu'elle lui dit. Il fronça les sourcils.



Passage obligé, avec une vie comme la sienne. S'il commençait à se rouler au sol à la moindre petite blessure, il n'irait pas loin. Il hésita un peu tout de même. Pour que Perséphone elle-même semble inquiète à l'idée d'utiliser son pouvoir, ça devait être autre chose que de se battre contre Poséidon - pourtant, la sensation de noyade restait parmi les pires qu'il ait vécues. Finalement, il hocha quand même la tête, retirant la main qu'elle venait de soigner pour lui tendre l'autre. Quitte à avoir mal, autant que ça ne soit pas du même côté.



A priori. Bien sûr, ça dépendait très clairement de ce dont elle était capable et il ne savait pas du tout à quoi s'attendre, mais elle avait présenté ça d'une manière qui laissait à penser qu'il s'agissait d'une douleur physique. Il connaissait ses propres capacités de résistance et la connaissant, elle arrêterait si ça devenait trop violent de toute manière. Il lui faisait confiance.

Il n'avait pas la moindre idée d'à quoi s'attendre. Perséphone ne s'épanchait pas vraiment sur cet aspect de son pouvoir, et à voir tout le rituel qu'elle mettait en place avant de l'utiliser, elle n'avait elle-même pas vraiment confiance dans ce qu'il était capable de faire. Arès la regarda prendre le temps de respirer lentement comme pour reprendre le contrôle, comme si elle avait peur de relâcher toutes les hordes des terres désolées sur lui si elle ne prenait pas son temps seconde après seconde. Même la petite litanie qu'elle commença à réciter ressemblait plus à un rituel qu'à une véritable nécessité ; elle n'en utilisait pas pour son autre pouvoir.

Une sensation de froid commença à naître à l'endroit où leurs mains se touchaient ; au même moment, l'apparence de Perséphone commença à changer. Elle ressemblait presque plus à Hadès qu'à elle-même, si ce n'étaient ces yeux entièrement noirs. Le froid commença à s'infiltrer sous sa peau comme une injection directe de glace dans ses veines et il eut la sensation extrêmement désagréable de sentir ses forces diminuer. Non, pas désagréable.
Douloureuse.

Comme lors de la noyade qu'il avait vécue aux mains de son ennemi d'enfance, la douleur se répandait sous sa peau et semblait décidée à saper toute son énergie. Il serra les dents. Difficile de savoir ce que c'était vraiment. Il se sentait dépossédé de ce qui le maintenait en vie, tout en sachant que c'était impossible : comme tout le monde ici, il ne pouvait pas mourir. Pourtant c'était... si proche de la sensation de manquer d'air. Sous l'eau, il avait cru ne jamais pouvoir respirer à nouveau ; ici, il avait l'impression que s'il fermait les yeux même une seconde, il ne les rouvrirait jamais.

Les pics de froid ne s'arrêtèrent pas au contact de la main de Perséphone sur la sienne. Ils avançaient dans sa chair pour se frayer un chemin, glace liquide qui semblait prendre la place de son sang sous sa peau. Ses muscles se crispait comme sous l'effet de centaines de crampes simultanées. C'était comme si... il n'y avait plus rien dans son bras. Rien qu'un vide que son corps ne se sentait pas capable de combler. Un gémissement étouffé, plus proche du grincement que d'un vrai éclat de voix, parvint à franchir ses lèvres et ses dents serrés.



C'était plus un murmure qu'un ordre ou une supplique. Il n'arrivait pas à savoir s'il se sentait écrasé par une force implacable ou au contraire aspiré dans un néant sans fond. Dans les deux cas, il avait besoin d'une pause.

La sensation était désagréable. Bon, le mot était faible, mais il faut dire qu'il n'avait pas développé un très grand lexique de la douleur au fil de sa vie, entre sa résistance naturelle et le fait qu'il avait plus tendance à l'infliger aux autres qu'à la subir. Il n'avait pas les mots pour le décrire, mais il n'en avait pas besoin pour savoir que ça faisait mal. Heureusement qu'il ne lui avait pas sacrifié la main qu'il avait déjà blessée dans la journée et qui avait eu sa dose de souffrances.

Ce qui était plus inquiétant que la sensation glaciale qui lui rongeait les os, c'était la réaction de Perséphone. Ou plutôt, son absence de réaction. Elle semblait flotter dans un état second, comme emportée par sa magie, et elle ne l'écoutait pas du tout. Peut-être qu'il n'avait pas parlé assez fort pour percer la bulle de ses pensées.



Sa voix était un peu plus forte, tout en étant un peu plus étranglée. La douleur l'empêchait de vraiment élever le ton, tant sa gorge était serrée. Elle n'avait pas l'air de lui répondre pour autant, ni même de l'entendre. Sauf que, pendant ce temps, son pouvoir continuait de le ronger de l'intérieur. Renonçant à attirer son attention en lui parlant, il finit par la repousser en appuyant contre son épaule. Pas assez pour que ça représente un choc, juste pour la faire perdre l'équilibre et l'obliger à sortir de sa transe si elle ne voulait pas purement er simplement tomber dans l'herbe.