Je ne voulais pas être retrouvée
Artémis et Achille

Dans un silence de mort, je regarde la longue trace rouge au sol. J'ai déjà vu du sang, dans ma vie. Tous les combats que j'ai pu livrer dans le passé où mes adversaires, mes partenaires d'entraînement ou mes alliés me reviennent en tête et il y en a un sacré paquet. Tous ont saigné. Mais jamais moi. L'Invincible. Torse d'Acier. Chacun allait de son petit nom pour dire que je pouvais pas saigner, que me blesser, c'était impossible. Mais aujourd'hui, cette longue traînée rouge écarlate qui part de mon point de départ et qui s'arrête exactement là où je suis, même si ça m'est jamais arrivé jusqu'à maintenant, j'ai pas de doute dans mon esprit sur ce que c'est. Ça, c'est du sang. Ça, c'est mon sang... La Déesse de la chasse arrive à ma hauteur et me regarde. Alors que, le poing serré, j'allais lui demander si elle en voulait encore... Ses gestes, ses paroles, tout est bien moins violent qu'il y a à peine quelques secondes. Elle m'a blessé. Elle le sait. Pas comment, mais elle m'a vu saigner.

— C'est... Mais... Comment..?

Comme pour chercher à me rassurer, je prends une flèche tombée au sol et tente de me la planter dans le torse. Elle se brise, comme toutes les autres flèches qui ont touché mon corps. Toutes. Sauf une... Je regarde l'archère qui me tend la main. Ce combat a trop duré. Beaucoup trop duré. Elle dit des choses justes. Mais bizarrement, entendre que je dois voir Hestia, dans ce contexte là... Si j'aurais pu en rire autrefois, ce soir, je peux qu'en souffler du nez. J'ai toujours amené quelqu'un à l'infirmerie. Jamais ça a été pour moi. Celle que j'ai le plus amenée... Bref.

— Je... Je l'aurais pas fait, de toute manière... Je savais même pas que t'étais là. Si t'étais pas venue me trouver, je l'aurais même pas su... Si t'es partie, t'avais sûrement tes raisons de le faire. J'te promets, je t'ai pas cherchée, je voulais juste être seul et... Réfléchir.

Mais avec l'adrénaline redescendue revient une voix dans ma tête. "Réfléchir, toi ? Tu es hilarant, tu as peut-être une utilité, au final... Puisque ce n'est même pas celle d'être invincible...". Je me crispe. Je serre le poing, tremblant de spasmes. Le poing finit par s'approcher de l'arbre contre lequel j'ai frappé la déesse. "Papa...". Encore ce gamin... Ce gamin qui existe pas sauf dans ma tête. Comme cette représentation de la mortelle que j'aime encore de tout mon coeur, enfin, pour ce qu'il en reste. Je sais que la vraie aurait jamais été méchante avec moi. Pas elle. Pas elle... Mais je peux pas m'empêcher de penser que ça pourrait être vraiment ce qu'elle pense de moi. Sur l'écorce, mon poing tremble de plus belle avant de s'arrêter quand je regarde Artémis. Elle veut plus se battre. Moi, je l'ai pas voulu. Mon poing s'ouvre et laisse ma paume se poser sur l'arbre avant de le caresser lentement.

— Pardon, Forêt... T'as pas à être aussi brisée que moi. Qu'est-ce qu'on a fait... Qu'est-ce qu'on t'a fait...

Je tourne la tête vers la déesse, comme si la question était aussi pour elle. Le vent froid de la nuit me répond. On aurait pas dû faire ça. Je regarde Artémis me tendre un morceau de sa tunique qu'elle vient d'arracher. L'enrouler autour de ma botte. Voilà ce que je dois faire avec... Je baisse les yeux vers l'étoffe et l'enroule autour de sa main avec la mienne.

— Garde ça pour tes propres blessures. T'en as plus besoin que moi... Toi aussi, tu saignes...

J'arrache le reste de mon haut et m'installe contre l'arbre qu'on a malmené pendant notre combat. C'est un miracle qu'il tienne encore debout avec la rage qui nous animait jusqu'à maintenant... Assis au sol, je prends ma botte trouée et la retire lentement, délicatement, comme si je voulais pas regarder. Mais je dois voir ça de mes propres yeux. J'y crois toujours pas... Le trou dans la plante de mon pied est net. En plein milieu. Artémis a tiré une flèche parfaite, qui s'est pas brisée dans mon pied. Si j'étais pas aussi surpris d'avoir été blessé, j'aurais presque pu complimenter son tir. Mais ça... C'est ce que j'aurais fait avant.

— Je voulais pas me battre. Je pensais déranger personne en venant ici. Ce lieu... Me rappelle des souvenirs.

Alors que j'essuie les traces de sang de mon pied avec les lambeaux de mon haut, je me revois avec elle, au pied de l'arbre en face, à côté du lac. Notre pique nique qui avait mal commencé à cause d'un centaure en colère qui s'est retrouvé à avoir la moitié de ses jambes blessées et complètement brisé. Aujourd'hui, c'est mon tour... Je nous revois, elle et moi, à manger des légumes à croquer, avec cette touche personnelle dont le souvenir commence à me faire pleurer silencieusement. "Ce n'était pas si bon que ça, tu sais...". Une larme tombe au sol alors que je regarde fixement cet arbre. Je finis par enrouler autour de mon pied ce qu'il reste de mon haut et soupire silencieusement, dans un murmure à peine audible.

— Tu me manques...

Je ne voulais pas être retrouvée
Artémis et Achille

Je saigne. Maintenant, je le sais. Je peux être blessé. J'ai l'impression d'avoir perdu encore un morceau de moi-même. Le mental ? Dévasté. Si maintenant, même mon corps peut être blessé, il me restera plus rien de ce qui fait de moi ce que j'étais... Je croise le regard d'Artémis, aussi grave que le mien. Elle a jamais voulu le faire. Elle est aussi surprise que moi. Personne savait, même pas moi... Maintenant que l'adrénaline est tombée, on peut s'entendre. Ce combat, y a personne qu'en voulait. On était venus faire la même chose. Moi ? La chercher ? Même moi, je trouve que c'est une mauvaise idée... Chercher quelqu'un seul ? À moins d'être un expert en traque, c'est risqué. Y aller en équipe aurait été plus judicieux.

— Pourquoi je serais venu te chercher..? Pourquoi moi ? Si quelqu'un avait été envoyé pour venir te chercher, j'aurais parié sur Déméter ou Apollon. Pas... Sur moi. En fait, sur n'importe qui sauf moi. Mais bon. M'empêcher de réfléchir...

Je regarde l'arbre au pied duquel on était pendant ce pique nique. J'ai l'impression de la revoir, souriante, les yeux doux, tranquilles... On était si bien, ensemble... Puis je l'entends. Encore... "Toi, réfléchir... Tu es hilarant, mais tu l'as déjà faite, cette blague, il va falloir te renouveler..." Je soupire, las de ses mots. Baissant la tête, je ferme les yeux alors que je termine ma phrase.

— C'est peut-être pas plus mal.

Si j'arrêtais de penser ? Si j'arrêtais de réfléchir ? Peut-être que j'arrêterais d'avoir mal et aller de l'avant ? J'y crois pas. Vraimentpas... Ma blessure est nette. Le sang coule doucement du trou fait par la flèche d'Artémis. Je me concentre dessus... Mais j'entends la déesse de la chasse me parler de son ressenti sur la forêt. Ce lieu est important pour elle et...

— Je sais. Pour moi aussi, c'est un endroit dans lequel... Je me sentais bien. Mais peut-être plus aujourd'hui. Ça me fait plus de mal que de bien. Et je parle pas de... Enfin. T'as compris.

Inconsciemment, je mets ma main sur mon torse et essaie de calmer le mal que j'ai en dans la poitrine. Je serre les crocs et la main sur mes pectoraux. J'en viens à me demander à quel endroit j'ai le plus mal... Les animaux de la forêt s'approchent de nous avant de rejoindre Artémis. Elle, elle est entourée. Je respire longuement et prends la parole.

— J'vais... J'vais rentrer, je crois.

Je termine de nouer mon haut déchiré autour de mon pied et enfile ma botte. À l'instant même où je pose le pied au sol, je sens quelque chose que j'ai du mal à décrire. Ça me chatouille pas. Ça me picote pas non plus. Ou plutôt si. Mais en désagréable. En très désagréable. Comme si on m'étirait la peau du pied... Une fois debout, je lève la tête, la basculant en arrière, cherchant mon souffle.

— Hhhhh... Qu'est-ce que...? C'est quoi, ça..?

Je tiens pas très longtemps debout. Je pose le genou de mon autre jambe au sol et me tiens le pied avec force. J'ai mal. J'ai tellement mal..! Je respire fortement. Je commence à paniquer. Son rire résonne dans ma tête. C'est à devenir complètement fou...

— T'as raison. J'devrais aller voir Hestia...

Je dois aller la voir. Je connais le chemin. Je suis jamais allé la voir pour moi-même. Ça va être une première... Je prends appui sur le tronc d'un arbre et commence à me redresser du mieux que je peux. Lâchant un râle une fois debout, je regarde le chemin que je dois parcourir. Comment est-ce que je vais bien pouvoir aller chez Hestia comme ça sans attirer les regards..? Avec de la chance, la nuit me cachera...Artémis dira rien à personne si je fais pareil de mon côté. Je peux compter sur son silence comme elle peut compter sur le mien. Mais tout tombe à l'eau si on me voit comme ça...