L’été était bien entamé et la chaleur m’accablait. Chaque jour était une épreuve de survie où je risquais de m’évaporer, de disparaitre à tout jamais dans les nuages d’Olympus. Triste réalité, le ciel n’était définitivement pas un endroit conçu pour moi. Dois-je développer l’idée que la mer est à elle seule mon Sanctuaire ? Par chance, à la nuit tombée, je pouvais aisément m’aérer les nageoires sans craindre de partir en fumée. Lorsque la lune fût levée, je décidai de m’éclipser de mon dortoir afin de rejoindre un lac à quelques vagues des Ipomea.

Les étoiles scintillaient dans le ciel, se reflétant sur la surface des eaux calmes. Les criquets chantaient, et en tendant l’oreille, je pouvais entendre le bruit de l’eau caresser la terre, rendant l’herbe humide et agréable. Une paix magique, d’une beauté rare que seuls les amoureux de la nuit peuvent connaitre. Je foulai le sol, les pieds nus, vêtue d’une courte robe de nuit. Au travers du tissu d’une légèreté rare, ma peau claire semblait s’illuminer sous la lumière de la pleine lune.

Je m’approchai enfin de l’eau en chantonnant une douce mélodie destinée à apaiser mon âme. Seule, les cheveux au vent chaud, l’air était bon, la nuit calme. Me voilà enfin rassurée, comme libérée d’une journée interminable. J’effectuai des mouvements avec mes bras, mes jambes, mélange entre des étirements et une danse. Comme si je ressentais l’eau couler sous ma peau, comme si la vie qui m’était volée chaque journée d’été, me revenait, tel un précieux cadeau. Du bout de mes pieds, je caressai l’eau du lac, laissant la magie opérer lentement. Les goutes qui perlaient sur mes jambes, laissaient apparaitre petit à petit des écailles luminescentes. J’aimais jouer avec cela, comme les prémices d’un doux baiser, admirer la beauté d’une magie aquatique d’une poésie sans fin.

Rouge. C'est tout ce qu'il avait pu voir. Rouge quand d'autres lèvres se sont ouvertes. Rouge lorsqu'un autre lui semblait sourire à un avenir radieux. Rouge quand il l'a observé, cette voleuse. Reine des océans qu'on lui a murmuré, reine des océans qu'il s'est offusqué en délaissant son bureau comme une tempête. Rouge qu'étaient les joues des première année qu'il croisait quand la terre grondait et que son humeur aurait rivalisé les excès amoureux d'un certain dieu. Rouge qu'a éclaté ses rétines sous un soleil affreux, rouge qui lui a écorché les poumons quand il a refusé de se présenter, a délaissé les lieux par condescendance de ce qu'il préférait ne pas être réel. Reine des océans. Rouge. Ridicule. Tout cela n'avait aucun sens. L'avait-il? Faite reine des océans? L'avait elle envoûté pour cela?

Rouge. C'est ce qui lui avait rappelé tout cela. Lorsque de retour d'une de ses légendaires absences il avait croisé la route de cette couleur à nouveau. Cascadant sur de frêles épaules, une chevelure épaisse vibrante, une chevelure appartenant à la voleuse. Celle dont il ne savait rien et bien trop à la fois; celle dont il se méfiait de creuser d'avantage. La question de s'il comptait l'aborder ou pas en cette nuitée pleine de fraîcheur ne se posa pas puisque lorsqu'elle se mit à caresser l'eau d'une jambe dévêtu, sa surprise le fit se pencher pour mieux observer les scintillements apparaissant sur sa peau et que dans cela son pied tapa contre la racine de l'arbre qui le soutenait. Manquant de brouter l'herbe il ne garda sa superbe que grâce à son avancé. Il était donc trop tard pour reculer et pourtant lorsque ses yeux se relevèrent il n'y avait plus de voleuse à l'horizon. Faisant un tour sur lui-même afin de capter l'éclat à nouveau mais ne se présenta. Deviendrait il finalement fou? Ou serait un coup d'une nymphe en colère? Qui pourrait-il avoir blessé dernièrement?

Un simple son. Comme une goutte faisant trembler la surface. Une seule suffit à le forcer regarder à nouveau. Des yeux bleus, aussi profond que la mer... Aussi profond que les siens.

-- Reine des océans je présume? Poséidon, dieu des océans. Je ne saurais trop dire si cette rencontre est un plaisir ou non. Pas encore.

Quitte à être dans l'instant présent, autant ne pas le gâcher, cela pourrait fâcher Chronos. Il fit alors quelques pas en sa direction, fronçant les sourcils sous son absence, non seulement ses lèvres ne s'étaient-elles toujours pas dévoilées pour répondre mais de plus sous la surface rien ne semblait indiquer sa présence. Curieuse créature.

-- Dois-je vider cet étang pour savoir à qui j'ai à faire?

Un sourire amusé parce qu'elle semble à moitié présente dans cette étendue d'eau, amusé parce que faire l'immense effort de contrôler autant d'eau douce ne lui conviendrait guère quand son lit l'appel à se reposer d'un grand périple.

-- Pour savoir pourquoi on vous accorde le titre d'un domaine qui n'est pas le votre?

Tout paraissait si paisible, si reposant. Jusqu’à ce que la tempête ne fasse rage. Les criquets cessèrent leur chant lorsque la terre se mit légèrement à trembler. L’ouragan que j’imaginais naitre dans mon dos, en l’espace d’un instant, semblait prêt à s’abattre sur moi. Perdant l’équilibre dans ma danse nocturne, mes jambes firent vibrer l’eau, créant des ondulations sur la surface. Jusqu’à ce que mon être, par reflexe défensif, ne se change complètement en eau, rejoignant l’étendue liquide.

Mais ma curiosité me poussa à matérialiser mes grands yeux bleus afin d’observer cet élément venu perturber ma tranquillité. Sous cette forme, je me sentais en sécurité, intouchable, indomptable, rien ni personne ne pouvait m’atteindre, quand bien même mon regard était visible. C’est alors que mon bleu rencontra le sien. Je reconnu sa chevelure de jais, mais jamais nous nous étions regardés de la sorte. Car il était à lui seul une tempête qui venait et allait au gré du souffle du vent sur les vagues d’une mer agitée.  

-- Reine des océans je présume ? Poséidon, dieu des océans. Je ne saurais trop dire si cette rencontre est un plaisir ou non. Pas encore.

Incapable de prononcer un mot, quand bien même mes lèvres auraient été présentes. J’étais intimidée. Si petite face à son corps fait de chair, debout et immobile, les pieds dans l’eau. J’admirais, je le reconnaissais, Poséidon, notre référent, celui que nous connaissons de nom plus que de caractère et respectons tous, mais aussi celui qu’on ne voit pas, ou que trop peu, car son temps est une liberté qu’il s’est offert au grand dam de ses sujets. Un roi qui semble n’avoir que faire de ses pions temps que ceux qui partagent sa couleur ne sont pas dans l’échec.

-- Dois-je vider cet étang pour savoir à qui j'ai à faire?

Mon court silence qui rapidement éveilla son impatience, rendit l’image du roi et de sa cour d’autant plus réelle. Ainsi mon visage se dessina dans l’eau fraiche et d’un hochement de tête, j’indiquai qu’il n’était pas nécessaire de vider l’étendue de son eau.

-- Pour savoir pourquoi on vous accorde le titre d'un domaine qui n'est pas le votre?

L’eau autour de moi se mit à vibrer, frétiller, de légères éclaboussures lumineuses se mirent à se rassembler, puis à se colorer. Au fur et à mesure, ma silhouette se dessina, mon corps prit forme et grandit jusqu’à atteindre le Dieu des océans. Il était plus grand que moi, plus imposant. Je ne payais pas de mine à ses côtés, et pourtant j’illuminais le lac de par ma présence, car j’en étais sa personnification.

-- Qui n’est pas le votre ?

Pourquoi me vouvoyait-il ? Était-ce le souhait de rendre la rencontre plus formelle ? Moi qui étais si excitée à l’idée d’enfin pouvoir échanger avec lui, je n’attendais qu’une chose ; lui serrer la pince ! Pourtant, je parvins à garder mon calme et à entrer dans son jeu. Après tout, ma journée avait été longue, j’étais exténuée et je cherchais que la douceur, la fraicheur et le repos dans cette si belle nuit.

-- Comment ce domaine ne pourrait-il pas être le miens, alors qu’à moi seule, je suis la personnification même du domaine ?

Je n’étais pas prétentieuse, juste honnête. Ses questions, sa posture, m’imposait une forme de soumission que je ne souhaitais aucunement accepter. A vrai dire, j’étais la personnification de la mer, une source inépuisable et incontrôlable.

-- Vous pouvez vider l’étang autant de fois que vous le voudrez, je finirai par le remplir à nouveau.

Puis vint la gêne, la honte, le rouge. Le rouge sur mes lèvres qui s’entrouvrirent lorsque je remarquai que mon corps de jeune femme était visible après avoir embrassé l’eau. Rouge, mes joues qui furent prise d’une sensation de chaleur intense. Rouge, ma longue chevelure que je vins rapidement disposer sur ma poitrine afin de la dissimuler. Rouge de honte de ne pas avoir penser à cela plus tôt, avant de sortir de l’eau comme la reine que je suis supposée être, d’une manière théâtrale que j’étais loin de maitriser. Rouge, rouge son nez si il ose me le faire remarquer, mon poing qui viendra s’écraser sur sa figure. Et enfin vert, vert la queue de poisson qui vint remplacer mes deux jambes après avoir goutté à l’étendue d’eau. Vert de rage contre moi-même d’avoir dû déposer mes mains encore humides sur ses épaules afin de rattraper ma perte d’équilibre.