Le Plus Humain des Dieux. Le Tourment des Âmes Mortelles et des Dieux Immortels. Des formules, parfois pompeuses,  désignant le caractère particulier du Voyageur, ou même sa naissance. Malheureusement, la poésie de ces citations ne peuvent plus être considérées comme des souvenirs. Ces mots ne sont plus que des mots. Des phrases. Un ensemble de sons. Et pourtant, ils existent. Encore. Non pas sous la forme d'un rythme, que seuls les Immémoriaux peuvent se souvenir d'avoir entendu.
Mais bien sous une forme plus pure, plus intense et, à la fois, plus honnête. Une idée. Car si les humains sont des êtres vivants, les dieux, eux, sont des idées. Des pensées. Des envies. Certains, mêmes, sont des concepts. Ce constat mis en avant, il est grand temps de commencer en prononçant une vérité à ne jamais oublier. Hermès – ou qu'importe le nom qu'il pourrait porter, s'il voulait s'amuser à jouer avec les lettres et les sonorités – est quand même un drôle d'oiseau.

Et ce qui défini cet étrange oiseau est le fait que sa nature est composite, bien plus que certains dieux, parfois fixés à une simple allégorie. Oh, bien entendu, en quittant les jupons inconfortables de la Garderie des Dieux, il a dû prendre une décision. Celle d'affirmer quel serait son domaine principal. Il fait partie de ces êtres qui ne pourraient faire tenir toute la liste de leurs fonctions et de leurs protégés sur une unique carte de visite. Alors, pour éviter de présenter un fascicule, un choix a été fait.

Ce choix aurait pu être celui de l'Éloquence et du Commerce. Car sa faconde, et ses capacités à conter, vendre, ou simplement ergoter des heures durant, pour au final ne rien dire – ou donner l'impression de ne rien dire –, peuvent faire des envieux. Il a cette facilité. À comprendre une situation, à assimiler même le plus petit détail - car il aime, les détails. À s'imposer, quand il doit le faire – ou quand il veut le faire. Il a aussi cette facilité, à savoir se mettre en retrait, quand il est préférable de ne rien dire. Puis, il a cette facilité, à trouver l'intérêt qu'il pourrait avoir dans une situation. Marchander. Jouer avec les mots, pour le plus souvent être avantagé. Oui, il a cette facilité, aussi.
Cet art oratoire fait de lui une personne sociable, qui pourtant ne semble pas être l'ami de toutes et tous. Il est là, pour jouer, pour raconter, pour faire rire, ou faire pleurer. Pour embrasser. Charmer. Mais ses amitiés sont aussi rares que sincères. Qu'attendions nous d'un tourment, après tout ? Il est difficile de percer à jour ses envolées lyriques, ses mensonges et ses ruses verbales. Alors, naturellement, certains peuvent se méfier. Une réalité qu'il accepte. Même si, au fond de lui, cette grande capacité à être à la fois attirant et source de méfiance pousse à regarder l'autre côté de la pièce.

Une haine. Mais aussi une peur. De la solitude, rampante et invisible. Des difficultés à dormir, lorsqu'il est seul, le poussant ainsi à la rêverie, aux sorties nocturnes ou même aux compagnies charnelles éphémères. Un besoin essentiel. Car si personne n'écoute le Voyageur raconter ses histoires, elles finissent par se répéter, sans cesse. Ne jamais se libérer. C'est ça, aussi, sa nature de l'Errance Éloquente. Un tourment pour lui-même.

Le choix aurait pu être celui de la Ruse et du Vol. Roi des Voleurs. Prestidigitateur et Illusionniste à ses heures perdues. Un être superficiel. Qui veut défier l'idée même de propriété. Défi envers lui-même, de pouvoir réussir à récupérer quelque chose d'impossible à arracher à son propriétaire. Mais aussi simple goût du risque de jouer avec des stratégies audacieuses. Un joueur d'échec, planifiant ses ruses et ses larcins à l'image d'Athéna planifiant ses stratégies. Après tout, sans tester, comment savoir qu'une chose ne fonctionnera pas ? La curiosité de tenter l'impossible, l'interdit. De braver l'ordre, pas seulement car c'est amusant. Mais parce qu'il a le choix de le faire. Le choix de prendre la décision, qu'importe si elle est mauvaise.
Alors, sans doute que, oui, ruser pour avoir quelque chose qu'il ne pourrait avoir est une décision superficielle. Sans doute que, oui, réfléchir à un plan pour simplement observer les réactions des autres est une décision superficielle. Sans doute que, oui, arracher à quelqu'un son droit de propriété sur un objet est une décision superficielle. Mais ce qu'il possède surtout est la liberté du choix. Se demander s'il veut faire ça. Savoir qu'il a la possibilité de le faire. C'est aussi ça, sa nature.

Mais celle-ci à ses propres démons. L'envie. L'obsession. De pouvoir quitter définitivement les chaînes qui lui ont été imposées. Oui, il peut passer au-delà du Mur. Bien entendu, qu'il le peut – et sans doute plus facilement que certains –, mais à quoi cela sert si au bout de quelques mètres il croise le Gardien ? Non. Non. Non. Le monde extérieur. Il a tant de choses à raconter. Même par l'effroi. Même par l'horreur. Même à travers des monstres ou des ruines, qu'importe ce qu'il y a de l'autre côté. Il veut le voir. Il veut Voyager, sur ses routes. Et il rusera autant qu'il peut pour ça. Il volera ce droit. Telle est son arrogance, son Orgueil. C'est cela, aussi, sa nature. Celle de l'Errance Obsessionnelle.

Le choix aurait pu être celui du Guide. Car guider dans ses découvertes et dans ses voyages fait partie de sa nature. Il aime, ce partage.
Le choix aurait pu être celui de la Transmission. Car écouter les secrets et les transmettre aux bonnes personnes fait partie de sa nature. Un mouvement à travers l'espace pour rencontrer de nouveaux visages et apprendre de nouvelles choses. Il aime, cet apprentissage.
Le choix aurait pu être celui de l'Invention. Car inventer, c'est découvrir. C'est s'attaquer aux limites pour les améliorer. Et cela fait partie de sa nature. Un art, celui pouvoir faire naître quelque chose en mêlant les idées à la matière. Il aime, cette alchimie.
Et il aurait pu faire d'autres choix. Car il est ce dieu qui veut découvrir, qui veut voir. Ressentir. Qui veut gagner, aussi. Car il aime sa victoire, même s'il ne le montre pas. Il veut jouer. Lancer le dé et voir ce que la Fortune lui propose. Il veut jouer, aussi, avec son corps. Danser. Aimer. Embrasser.

Mais le choix qu'il a décidé de faire est celui qui lui permet de répondre à cette nature complexe. Ce choix, c'est celui qui permet à l'Orateur d'apprendre des histoires à conter et de découvrir les subtilités existant entre un lieu et un autre. C'est celui qui permet au Commerçant et au Voleur de faire affaire dans une ville et de s'opposer dans une autre. C'est celui qui permet à la Ruse de s'alimenter de nouvelles idées. Découvrir. Jouer. Transmettre. Connaître et guider. Inventer. Et encore. Encore. Toujours. Un choix qui nourri ses obsessions, mais qui doit supporter parfois ses propres peurs, pour tenter de trouver quelqu'un, qui arriverait à faire le même choix.

Le choix d'un être qui peut être qualifié de seul, libre, perdu, social, obsessionnel, intelligent, rusé. Mais aussi celui d'un être qualifié de voleur, superficiel, rêveur, imaginatif, chaotique, orgueilleux. Un joueur, un hédoniste. Un homme qui n'a pas encore dit je t'aime et qui pense en être incapable. Un dormeur qui est prêt à tout pour ne pas sentir la solitude l'enlacer. Un être curieux de tout ce qui a existé, ce qui existe et ce qui pourrait exister. C'est cet être qui a fait ce choix. Celui qui fait, qu'en plus de tout cela, il est appelé le Dieu du Voyage.
Et il compte voyager. Dans chaque histoire. Dans chaque espace. Et même en lui-même. Car un Voyageur a toujours quelque chose à découvrir sur soi.