Dans le feu, le sang et l'acier
Penthésilée & Achille

Une nouvelle journée s'annonce. Encore une où j'ai envie de rien. Hestia m'a conseillé de prendre un peu l'air, de pas rester seul. Sauf que c'est ce que je veux le plus... Au moins, en étant seul, je fais de mal à personne. Depuis que Hécate m'a pris dans ses bras, j'ai plus mal au coeur. Mais par contre, je sais pas si c'est mieux. Je ressens plus rien, comme si j'étais mort à l'intérieur... J'erre sans but dans les jardins du printemps. C'est ici que je lui ai parlé la dernière fois. Mais penser à elle me fait pas mal. Je ressens rien. Comme si mon existence toute entière était juste une longue nuit où y a pas un brin de vent qui souffle, pas une lumière qui brille. Y a rien. Rien... Ma démarche a plus rien à voir avec celle que j'avais autrefois. Mais qui ça regarde ? Je m'en fiche de ce que peuvent penser les autres. Je les...

— Eh, Achille !

J'ai entendu quelqu'un m'appeler. Je continue mon chemin. Je m'en fous complètement. Je crois reconnaître la voix qui m'appelle. Un pas particulier. Des sabots. Un centaure. Lequel..? Oh merde... De tous les centaures que je connais, il faut que ce soit sur lui que je tombe... Lui, je sais ce qu'il veut. Se battre. Chercher à me battre. Parce que j'ai encore un semblant d'intérêt, moi..? Il me bloque le passage et me regarde de toute sa hauteur. Je soupire. Il fallait vraiment que ce soit lui..?

— T'étais pas à l'Embrasement ou t'as pas passé les éliminatoires ? J'aurais bien aimé t'humilier devant toute l'école...
— J'sais plus. T'es sur mon chemin...

Je commence à marcher, sans émotion dans la voix, ni dans les mouvements. Mais on dirait bien qu'il a envie de me forcer à faire quelque chose. Quoi ? Pourquoi je demande..?

— Eh, Achille ! Viens te battre !

Il me met une beigne au passage. Je sens rien. Comme d'habitude. Mais aussi comme jamais... Les yeux à moitié clos, je fais un non de la tête.

— Pas envie. T'es sur mon chemin...
— Allez, viens ! Défends-toi un peu, allez !

Il m'en remet une. Puis une autre. Et encore une autre. Toujours aucune réponse. Il veut vraiment pas me lâcher. Je soupire, las. J'en ai marre de lui... En plus, il me la rappelle...

— T'es plus le même depuis qu'elle t'a lâché comme une merde. C'est même plus marrant ! En fait, si, c'était ta faiblesse, t'es rien sans ta mortelle, en fait ! Hah !

Il essaie la provocation. Il veut me taper dans l'ego. Il sait qu'il peut pas me blesser physiquement. On est pas beaucoup à savoir où je peux saigner... Je reprends ma route, mort à l'intérieur, avant de me heurter une nouvelle fois à un mur à moitié équin. Bordel, ces centaures... Et lui, surtout... Je ferme les yeux. C'est qu'il insiste, en plus, mais il a pas encore compris qu'il va pas l'avoir, son com...

— Quelle pétasse ! J'vais lui montrer, moi, l'épave que t'es devenue, à cette Mégara... ALLEZ, DÉFENDS-TOI !

Il a dit son nom. Il l'a insultée. Devant moi. Je sens en moi quelque chose qui s'est allumé, l'espace d'une seconde. Je sens qu'il arme son bras pour m'attaquer une nouvelle fois. L'instinct m'a fait parer son coup de poing avec ma main droite. D'où est-ce que j'ai sorti un réflexe comme ça alors que je suis dans un état quasiment larvaire depuis qu'elle..? Bref. Ça a dû le surprendre que je pare l'attaque. Il essaie de retirer son poing. Mais je le maintiens. Fort.

— T'as...

Ma gorge est serrée, comme si ma voix sortait du plus profond d'une caverne. J'entends. Je vois. Je ressens quelque chose. Un battement. Une chaleur. Une respiration courte, comme annonciatrice de la poursuite de ma phrase...

— ...Aucun droit...

Mes muscles se crispent tous. Je ressens une chaleur dans mon dos, dans ma gorge, dans mes mains, mes bras et mes jambes. Je sens que mon corps entier est en train de bouillir. J'ouvre les yeux, et observe le centaure, le regard cerné, noir de haine et brûlant de rage.

— DE PRONONCER SON NOM !!

Ma main serre la sienne. J'entends ses phalanges craquer sous la pression. Les phalanges. Le poignet. Je viens de lui broyer la main... Je vois rouge. Je frappe d'un coup enragé, le coeur enflammé, un coup de pied dans sa patte avant. Je l'entends craquer. Il hurle. Genou plié. Dans le mauvais sens... L'autre patte est jalouse. Coup de pied à l'autre. Même résultat. Je lui déboîte le bras en donnant un grand coup d'épaule dedans. Mon autre main l'attrape à la gorge et mon regard croise le sien...

— J'te l'ai promis, j'crois..? La prochaine fois, y aura pas de Mégara pour te sauver... J'vais te marteler la gueule et transformer ta tronche en moussaka !

Coup de front contre son nez. Je viens de lui faire voir les étoiles. Il a pas dû bien les voir. Il essaie de donner un coup de poing avec son bras encore valide. Je le vois venir. Je le sens arriver. Je me décale au dernier moment, frappant son coude et son autre poignet. Pendant qu'il se tord de douleur, je lui bondis dessus, furieux avant de lui écraser les deux autres pattes avec mes genoux. Et tout devient rouge... J'entends crier. Mais je vois plus grand chose au bout du compte. Je le martèle de coups de poings, comme s'il prenait la tempête de plein fouet. Une cascade d'émotions fortes, un élan de colère, un chemin de la douleur, un éclair qui lui arrive dans la tête et qui le transforme en épave, en énorme tas de chair rouge qui fuit de partout. Je sens un liquide chaud m'éclabousser le visage et les bras. Du sang. C'est pas le mien... C'est le sien. Et je suis en train de le massacrer. Lui, m'humilier à l'Embrasement ? Dans ses rêves... Je l'entends crier de douleur quand moi, je crie de rage, comme si je revivais. Il l'a insultée. Devant moi... Je vois. J'entends. Je sens. J'ai comme un goût de métal dans la bouche...

— Ta gueule ! Ta gueule ! Ta gueule !! TA GUEULE !!!

Je frappe encore et encore. Je m'arrête même pas pour respirer. Pourquoi faire ? Lui, il respire encore... J'ai promis que je serai là pour elle. J'ai promis que la prochaine fois, j'allais être impitoyable. Je me relève au bout d'un moment interminable pour lui. Il bouge plus. Je l'ai assommé... Hestia va râler. Mais je voulais pas me battre... Maintenant, je ressens comme une sorte d'instinct guerrier renaître en moi, comme si le feu était revenu d'un seul coup. Je le ramènerai pas à l'infirmerie, celui là. Il est au sol. Je suis debout, du sang sur les bras jusqu'aux coudes, des gouttes écarlates sur la moitié du visage...

— T'AS COMPRIS OU T'EN VEUX ENCORE ?!

Je suis brûlant. Maintenant, je veux me battre...