Le chemin de la douleur

Le combat entre les deux Tamarisc avait fait rage dans toute la forêt d'automne. Le sang avait coulé comme de l'eau durant cette violente bataille acharnée entre la Déesse de la Chasse et l'Invincible. La forêt saignait, les animaux qui prêtaient main forte à leur protégée subirent les conséquences de leur témérité. Le blond s'était vaillamment défendu, combattant comme un lion tout ce qui s'attaquait à lui. Jusqu'à lui-même... Artémis avait tiré une flèche qui contrairement à toutes les autres s'était plantée dans la botte d'Achille. Il ne ressentit rien sur l'instant, mais la déesse était formelle. La flèche avait percé sa peau. Il saignait. Elle en eut la confirmation lorsque de rage, le guerrier avait envoyé la flèche comme un javelot dans la direction de son adversaire. La goutte écarlate macula le visage de l'archère qui constata la première que l'Invincible pouvait en réalité être blessé. Cette révélation calma la guerre acharnée qui opposait les deux Tamarisc. Trop de mal avait été fait. Trop de sang avait coulé. Même celui du guerrier dont on ignorait qu'il pouvait saigner. Son monde d'effondra. Il n'était plus rien. C'est la mort dans l'âme qu'il tenta de se relever pour marcher, interrompu à chaque fois que son pied gauche touchait le sol, lui rappelant que sa chair avait été meurtrie, sentant comme des épées accompagner la flèche qu'il avait reçue, laissant derrière lui une longue trace écarlate.

Achille prit appui sur un arbre pour se redresser à chaque fois qu'il trébuchait. Sa respiration était forte, saccadée, comme si le fait même d'exister représentait une tâche impossible à accomplir. Il tenait son torse de son autre main, tentant de panser une plaie inexistante sur ses pectoraux impeccables. La blessure qui faisait le plus souffrir l'Invincible n'était pas visible car elle était en lui-même. Il aurait tué n'importe qui pourvu que sa souffrance puisse s'apaiser ne serait-ce qu'un peu. Le souffle court, il traversa la forêt sur une jambe valide, s'appuyant du bras sur les arbres qui étaient sur son chemin.

Il perdit l'équilibre et trébucha, son genou frappant le sol terreux. Plier sa jambe gauche lui faisait ressentir une indescriptible sensation désagréable, comme si on déchirait sa peau. Une larme se forma dans son oeil gauche et coula lentement le long de sa joue alors qu'il vit droit devant lui la silhouette d'une femme qui le regardait d'un air méprisant, moqueur, hautain...

Tu fais peine à voir... Enfin. Pour n'importe qui sauf moi, bien sûr...
— Ferme la...

L'aurea dont il s'était épris. C'était la première fois qu'il ressentait de pareils sentiments de toute sa vie. Leurs sentiments avaient beau diverger, jamais elle n'aurait été méchante avec lui. Achille savait depuis le début que ce n'était qu'une représentation qu'imaginait son esprit. Que ce n'était qu'une illusion, probablement un vestige de la manipulation de son esprit par l'aurea couplée à la vision des sirènes qu'il avait subie plus tôt. Il savait que tout était faux. Tout était faux. Sauf sa souffrance...

— J'veux pas t'entendre... Menteuse... T'es qu'une menteuse... Menteuse !
Mais Achille... De nous deux...

Elle s'approcha de lui, de toute sa hauteur, le toisant de son regard améthyste froid à lui glacer le sang. Jamais il n'avait éprouvé la peur jusqu'à ce qu'il croise sa route. Il avait peur de la perdre. Il l'avait perdue. Elle approcha son visage de celui du héros blessé, le regarda droit dans les yeux et acheva sa phrase, d'un souffle glacé qui frappa ses lèvres.

C'est TOI qui as menti le premier... Tu ne te souviens pas..? "T'inquiète pas pour moi. J'suis invincible, y peut rien m'arriver, j'vais m'en relever ! " Ce sont tes mots, non..?

La question le frappa comme un coup de tonnerre. Sa réponse le fit trembler. Son coeur se mit à bouillir alors qu'il croisa son regard. La haine dans les yeux, il frappa le sol de toute sa rage et rugit à pleins poumons. Son coeur s'était enflammé. Il était debout et hurla à l'avatar de la femme qu'il avait perdue pour la faire disparaître.

— JE TE HAIS !!
Justement... Non. Si tu me haïssais, tu n'aurais pas mal...

Les larmes coulèrent sur sa peau brûlante, ne laissant derrière elle qu'une petite trace à peine humide. Mais il ne put répondre à la déclaration de la voix de l'aurea qui flottait dans l'air. Il ne put répondre car il savait qu'elle avait raison. Il avait menti. Il l'aimait toujours. Et c'était bien pour cette raison qu'elle avait encore un pouvoir destructeur sur lui. Il frappa du pied le sol et partit, parvenant à quitter la forêt d'automne sans être interrompu par les paroles blessantes de cette illusion qui persistait en son coeur. Il porta sa main à son torse, toujours blessé, toujours mal en point. Mais son hurlement lui avait redonné l'adrénaline et l'énergie nécessaires pour se rendre jusqu'à l'infirmerie. La nuit était noire, sans qu'il ne puisse risquer d'être vu par quelqu'un. Qu'Hestia le voit ainsi, c'était déjà une humiliation en soi, lui qui a toujours été vu par l'infirmière de l'académie en pleine forme... Il frappa de trois coups sa porte. Lorsque la Déesse du foyer ouvrit, elle vit un Achille aux traits fatigués, torse nu, tenant à peine sur ses jambes, les cheveux plus en bataille que d'habitude. D'abord surprise, elle vit le Tamarisc se tenir la poitrine et prendre appui sur le pas de la porte...

— Achille ?! Mais que t'est-il arrivé..?
— Hestia... J'ai mal...
— Tu as... Mal..? Toi ?

Elle était horrifiée. L'allure du héros coupa court à toute théorie de plaisanterie de sa part. Il n'a jamais été du genre à faire de blagues à Hestia, bien qu'il était toujours enchanté à l'idée de lui donner du travail à faire ou quand il escortait quelqu'un qui avait besoin de se rendre dans son cabinet. Hestia aida Achille à entrer, le laissant s'appuyer sur elle, le faisant moins solliciter sa jambe gauche. Elle avait bien vu sur les quelques pas qu'il avait réalisés qu'il boîtait, marchant avec difficulté, lui qui avait une démarche assurée et fière d'ordinaire.

— Je vais t'aider... Assieds-toi.

Il ne se fit pas prier. Il ne ressentait même pas la force de contester cette information. Le guerrier, le héros toujours fier de tenir debout n'était plus qu'une épave, l'ombre de lui-même. Il s'assit sur le lit et elle lui fit retirer sa botte. Il avait saigné. Au milieu de la plante de son pied se trouvait un trou précis, parfaitement rond. Elle plissa les yeux et passa sa main sur la blessure qui avait cessé de saigner.

— Que s'est-il passé ? Comment est-ce arrivé..?

Mais le héros ne fit que hocher sa tête baissée, honteuse. Il avait promis qu'il ne dirait rien. Il n'était déjà plus rien. S'il trahissait une promesse qu'il avait faire, que serait-il ensuite ? Non. Il lui restait une certaine fierté. Celle du héros qu'il était. Hestia ne cacha pas sa surprise en voyant une telle blessure, surtout sur la peau de ce Tamarisc précis. La moindre écharde était une occasion suffisante pour s'inquiéter. Elle posa sa main sur le pied du guerrier brisé qui était venu la trouver. Achille sentit alors sa peau se refermer...

Il ouvrit l'oeil en direction du mur le plus proche de lui. Il la vit là, jambes croisées et la paume de sa main retenant son menton. Son regard mauve et son sourire suffisant suffirent à le faire à nouveau trembler de colère. Puis sa voix douce et glaciale émanant de ses lèvres maquillées de pourpre arriva aux oreilles du héros.

Dis-moi, Achille... Est-ce que ça fait mal..?
— Fais la taire... S'il te plaît...
— La faire taire ? Mais qui..? Il n'y a que nous deux, ici...

Le héros posa sa main sur sa tempe et observa la déesse du foyer avec des yeux sans la lumière qui les allumait autrefois. Ça lui semblait si loin qu'il n'aurait même pas été capable de reconnaître son propre reflet. Puis il se confia, lâchant un soupir las.

— Dans ma tête... Y a quelqu'un. Quelqu'un qui me parle. Qui me fait mal... Mal dans la poitrine...
— Dis-m'en plus.

Elle passa une main sur le torse du héros et l'autre sur son front alors qu'il développa ses symptomes.

— Je la vois... Je l'entends... Mais c'est pas elle... Je sais que c'est pas elle... Je sais que c'est faux ! Je sais que c'est une illusion ! Ce qu'elle dit, c'est pas ce que la vraie dirait ! Elle, elle est méchante... Mauvaise... Elle me veut du mal ! Et même si je sais que c'est faux... J'ai quand même mal ! Pourquoi j'ai mal si je sais que c'est faux ?!
— Achille, calme toi, tout va bien ! Qui, elle ?

Il avait paniqué. Il s'était même énervé, agité jusqu'à ce que la déesse le regarde dans les yeux, bienveillante, douce, presque tendre. Il baissa les yeux alors, un peu honteux d'avoir eu à demander de l'aide. Il lâcha dans un soupir las le nom qu'il ne parvenait plus à dire.

— Aumeguia...

Hestia comprit tout. Elle sentit sans doute dans la voix du héros qu'elle était aussi brisée que son coeur. Elle n'ironisa pas. Le moment était mal choisi. Mais elle fit tout son possible pour apaiser son esprit. Les larmes du héros coulèrent silencieusement sur le sol de l'infirmerie. Il s'était muré dans le silence...

— Je vois... Je pourrai t'apaiser un peu. Mais c'est une épreuve que tu devras surmonter avec ton courage et en étant bien entouré, Achille. Ne reste pas seul, surtout si c'est la première fois qu'un tel malheur t'arrive. Laisse toi du temps...

Il se contenta de hocher la tête après avoir laissé Hestia lui prodiguer soins et conseils. Il crut bon d'écouter et d'esssayer d'appliquer ces conseils. Mais s'entourer ? Dans son état ? Ce qui lui restait de fierté et d'amour propre étaient mis à rude épreuve.

— J'vais essayer...
— Passe me voir au moindre problème. Courage... Tu vas t'en sortir, je crois en toi !

Il se leva et accepta la main sur son épaule en signe de soutien de l'infirmière et regagna l'entrée de l'infirmerie, le pas tout aussi lourd que lorsqu'il était arrivé, malgré son pied guéri. Mais il sut qu'il n'était encore qu'au début de son périple sur le chemin de la douleur...