Quand Achille se perd par M'égar(a)de
Hécate, Hélène & Achille

Je me hais. Je me sens mal. J'aime pas ce que je suis devenu. L'ombre de moi-même. J'ai l'impression de plus être ce que j'étais. Je crois que j'ai sous estimé le pouvoir des mots. De certains mots... J'ai perdu la notion du temps. À chaque sortie que je fais, je me prends un coup dur... J'en ai marre de moi, de ma vie, tout le monde m'emmerde. Il y a des jours où j'ai juste envie de me terrer dans ma tente et pas en sortir. C'est ce que je fais, le plus souvent. Quand je sors de ma chambre, c'est pour avoir mal. Ça sert à rien. Depuis l'île d'attraction, je suis sorti... Trois fois ? Quatre ? J'ai vu qui ? Mégara. Mal fini. Artémis. Mal fini. Encore Mégara que j'ai cru voir à l'Embrasement. Encore mal fini. J'ai même pas osé rester. Je voulais pas qu'elle me voit comme ça. Comme l'épave que je suis devenu depuis qu'on s'est dit au revoir. Depuis que je lui ai menti sans même savoir que je l'avais fait... Aujourd'hui, Arès est pas là. Lui aussi a eu du mal à se remettre de l'île, je crois. Enfin. On en a pas parlé. On est pas bavards, tous les deux, on s'entraîne, c'est tout. On s'est pas entraînés non plus, j'y pense... De toute façon, j'ai pas envie. Je me pose dans mon lit, le regard dans le vide, encore brisé. Complètement brisé. Assis en tailleur, le dos voûté, j'ai perdu mon sourire en coin. J'entends la porte de ma chambre s'ouvrir. Qui est le sourdingue qui a pas encore compris que la chambre là était LA chambre à laquelle il fallait pas frapper en ce moment..? J'entends une voix. J'écarquille les yeux. Pas elle... Pitié, pas elle...

— Hélène ?! Nan !

Elle entre dans la chambre. Je tourne la tête pour ne pas croiser son regard. Je peux pas. Je veux pas. Les jambes encore enfouies sous la couverture, je regarde ma tente du coin de l'oeil. Pourquoi est-ce que je m'y suis pas caché, bordel... Ah ouais, c'est vrai... C'est parce que la nuit dernière, j'en suis sorti, sortant de mon sommeil en hurlant de douleur et en me serrant la poitrine avec les deux mains. Invincible, hein... Mon cul...

— Hector est pas là et Athéna est pas ici en pleine journée, tu la trouveras sûrement dans les jardins ou à la bibliothèque...

Je sens quelqu'un s'asseoir sur mon lit. Elle est là. À côté de moi. Je ferme les yeux. C'est moi qu'elle est venue voir. Je la regarde pas. Je me bouche le nez et essaie de pas entendre sa voix. Qui sait quel effet son pouvoir pourrait avoir sur moi, maintenant que je suis juste une... Loque, un faible, une épave. Rien du tout... Si aimer, c'est souffrir, je veux pas qu'on m'approche. Je veux plus aimer qui que ce soit. La seule pour qui mon coeur s'est emballé... Elle l'a brisé. Elle est passée à travers le torse d'acier. Il reste juste des éclats de verre de mon coeur. Aucun coup. Rien que des mots. Prononcés sans la moindre intention de faire mal. Elle a jamais voulu me nuire. Mais elle m'a mis à genoux comme personne l'a fait... Hélène s'excuse. Elle est désolée pour moi. La voix cassée, je lui réponds.

— Ah. J'savais même pas que tu savais... Fin ça a fini par se savoir, sûrement...

Les Sollerys aiment ce genre d'infos croustillantes. C'est sûr, les autres qui souffrent, ça les éclate. Ils ont dû bien se marrer, tiens. J'imagine déjà les conversations à base de "Qu'est-ce qu'elle lui trouvait, de toute façon, c'est qu'un bourrin qui aime taper sur tout ce qui bouge et même ce qui bouge pas, d'ailleurs, hoh hoh hoh, allez, vernissons nous les ongles des pieds pour que les Helyantos nous les baise !" et autres "Vous imaginez l'horreur qu'elle a pu ressentir en le voyant sortir sa pomme ? Oh l'angoisse !". J'aime pas ceux qui rient du malheur des gens. Je les déteste. De tout mon coeur. Je me bascule en arrière, m'adossant à la tête de lit. Je suis dos au mur. Les larmes recommencent à couler. Bordel, ça brûle... J'ai l'impression de saigner du coeur alors que j'ai aucune plaie sur moi... Je me hais... Je me sens mal. J'aime pas ce que je suis devenu. L'ombre de moi-même...

Quand Achille se perd par M'égar(a)de
Hécate, Hélène & Achille

Je vois rien, je sens rien, je veux pas entendre. Hélène est à côté de moi, je sens, je sais qu'elle est là et je sais que je me sens mal à côté d'elle. Elle a jamais été méchante avec qui que ce soit, mais je veux pas la voir. Je veux pas être vu comme ça... En plus de ça, vu son pouvoir et l'épave que je suis, je risque de tomber amoureux. Et tomber amoureux, c'est souffrir... Mais j'entends une autre voix dans les ténèbres. C'est pas Hélène, ça... C'est...

— Hécate..?

Qu'est-ce qu'elle fait là ? Elle s'approche de moi. Je sens sa présence, je l'entends se rapprocher et s'asseoir sur mon lit. Elle a annulé le pouvoir d'Hélène. Sans risque, vraiment ? Je veux pas y croire... J'ouvre les yeux quelques secondes et me débouche le nez. Hécate est là. Elle ment pas. Mais c'est pas de son honnêteté que je doute...

— Je suis touché... Mais j'ai pas confiance... Je veux pas être vu comme ça...

Elles sont là, assises à m'entourer et à me parler, vouloir me faire manger, écouter la musique d'Hélène alors que moi, je veux pas. J'ai aucune envie d'être entouré. Je veux être seul. Je regarde juste Hécate, ignorant Hélène. Je veux prendre aucun risque. Si j'ai perdu mon pouvoir, j'ai peut-être aussi perdu tout ce qui faisait de moi l'Invincible. Donc mon inexpliquable résistance au charme d'Hélène.

— C'est gentil d'être passées, mais je préfère rester seul. C'est ce que je mérite, de toute façon... J'ai pas faim non plus, j'ai envie de rien. Vraiment... Ce que je veux...

Ce que je veux... Je visualise le petit gars que j'ai vu. Qui me ressemble comme deux gouttes d'eau, qui est dans les bras de... Forcément. C'est ça, que je veux... Mais dans cette image mentale, je la vois me regarder avec des yeux mauvais. Mais moi, je ne te veux pas. Je te déteste... Dé. Teste...

— Je peux pas l'avoir...

Je baisse la tête. Retour à la réalité. Les larmes commencent à couler. Y en avait encore ? Il faut croire. Je ferme les yeux et secoue la tête négativement. Elle me hait ? Pas autant que moi je me déteste...

Quand Achille se perd par M'égar(a)de
Hécate, Hélène & Achille

Je sens les larmes couler le long de mes joues comme si mes yeux étaient des cascades. Cascade... Aussi sombre que la grotte dans laquelle j'étais pour la chercher. Aussi humide que l'illusion des sirènes. Aussi douloureuse que la dernière conversation que j'ai eue avec elle... Je sens que mon coeur s'est fait broyer et qu'on essaie de le blesser encore plus. Je porte les mains à mon torse, serrant les dents, crispant les muscles. Je tremble, comme si j'avais froid. J'ai jamais froid... Et pourtant, je sens que le sang dans mes veines est froid. Je sens la main d'Hécate dans mes cheveux, ma joue se poser sur sa peau. Elle dit rien, elle est... Juste là. Je lâche dans un soupir quelques mots, comme si j'attendais aucune réponse.

— J'me sens minable...

Je la mérite pas. J'ai tout fait pour, mais ça a pas suffit. Elle veut autre chose. Elle veut quelqu'un d'autre. N'importe qui sauf moi. Elle me l'a bien fait comprendre. Le pire, c'est qu'elle a raison. Le pire, c'est que je lui en veux même pas. J'ai complètement décidé de subir sans jamais répliquer. Mais qu'est-ce que je suis devenu, bordel... Je respire profondément, la tête contre la peau d'Hécate. Elle se donne vraiment beaucoup de mal...

— Je mérite pas ton attention, Hécate...

Je sens petit à petit que mon énergie déjà basse s'épuise. Moi qui fatigue. Encore une nouveauté... Je suis fatigué. Je pense à trop de choses qui font mal. Je devrais pas avoir mal. Je voudrais pouvoir dormir et penser à rien. Qu'elle sorte de mes cauchemars entre les souvenirs de l'illusion des sirènes et ce gamin que j'aurai jamais. Mais dans les ténèbres, ce que je vois avec les yeux fermés, c'est une torche qui brille au loin. C'est ça, la lumière au bout du tunnel ? Elle est si loin... Tellement loin... Que je suis pas sûr de réussir à faire la route jusqu'à elle. Je renifle bruyamment avant de m'endormir, les yeux encore humides, les larmes ayant tracé leur chemin sur mes joues. Ca va mouiller Hécate... Pardon Hécate... Je me suis perdu par mégarde... Je sais même plus où je vais. À peine qui je suis...