Je ne sais pas combien de temps je reste là, adossée contre le même arbre en pensant à tout et à rien. Les personnes avec qui je jouait au loup tout à l'heure ne sont pas venu me demander pourquoi je ne venais plus, certainement parce qu'ils ont vu que je n'étais pas vraiment d'humeur à jouer. Ça me fait du bien en quelques sortes de rester seule mais je sais que cette technique ne sert à rien. Je ne peux pas fuir éternellement ce que Les Moires m’ont déclaré explicitement plus tôt. Je vais quitter la garderie, les souvenirs qui je chéris tant et mes amis que je me suis construis au fur et à mesure de mon avancée dans cet endroit. Les divinités du destin ont beau dire que je suis prête à quitter la garderie, pour ma part je n’en suis pas sûr. Je pense… je pense que j’ai peur de quitter tout ça et de me retrouver dans un endroit inconnu.

Concentrée dans mes pensées, je n’entends pas les pas arriver dans ma direction et c’est seulement quand une voix s’élève que je relève la tête surprise d’être déranger. Je reconnais immédiatement cette voix. Tyché, une de mes amies les plus précieuses, s’avancent vers moi et me propose une brioche. J’essaie de garder la face pour qu’elle ne s’inquiète pas mais au vu de ses traits qui se durcissent quand elle s’approche davantage de moi, je crois que c’est peine perdu. Elle me connaît trop bien, bien-sûr qu’elle allait remarquer que je n’étais pas dans mon assiette.

Je ris doucement face aux tentatives de Tyché de trouver pourquoi je tirer une sale tête. C’est fou, l’énergie de la déesse de la chance est vraiment communicative, je pourrais presque oublier ce qu’il m’attend demain si je me pers un peu trop dans les yeux de Tyché. Je lui souris pour la rassurer.

- Ce n’est rien de tout ça ne t’inquiètes pas.

Je m’arrête un instant et fixe la brioche détenu par mon amie. Je connais son expérience en matière de cuisine alors si ses brioches sont aussi délicieuses que ses cookies je ne dis pas non à un petit réconfort gustatif. Et puis c’est si gentiment demandé, je ne vais pas refuser.

- Et ce sera avec plaisir pour la brioche.

Elle me la donne sans hésitation et je croque dedans presque tout de suite. J’avais raison, sa brioche est aussi bonne que ses cookies. Elle devrait se construire un petit stand de nourriture mais à vrai dire je ne pense pas cela possible mais ce serait amusant. Je vois bien Tyché s’extasier de voir des mythos faire la queue pour goûter ses gâteaux et leur donner une ou deux barres chocolatées supplémentaires. Mon sourire s’efface vite quand je me rends compte que si ça se passe vraiment je ne serais plus là pour le voir. Et pire, je ne verrais pas Tyché pendant longtemps. Trop longtemps pour moi. Je ne sais pas quand la petite déesse sera prête à partir à l’académie mais je n’ai pas besoin d’être une des Moires pour comprendre que ce n’est pas tout de suite. Cette vision me chagrine davantage. Mais je dois en parler à Tyché, même si ça lui fait mal, et moi aussi d’ailleurs. Je ne veux pas partir sans lui avoir dit au revoir.

Je tapote la place à côté de moi pour que la déesse vienne s’asseoir. On est toujours mieux disposer à parler quand on est assit. Je la regarde dans les yeux et souffle un bon coups avant de vouloir me lancer.

- Tyché j’ai quelque chose à te dire et ça ne va pas forcément te plaire…

Une seconde passe. Deux. Peut-être trois. Les mots ne veulent pas se former dans ma bouche. J’ai du mal à dire à voix haute ce que Les Moires m’ont dite tout haut tout à l’heure. Peut-être parce que je m’efforce de penser que ce n’est pas réel et que demain je vais rester à la garderie ? Mais je ne peux pas fuir pas devant mon amie, je dois lui dire.

- Les Moires m’ont signalé que je quitterais la garderie demain.

Ses simples mots me font rater un battement et j’ai l’impression d’avoir lâcher une bombe.

Je savais évidemment que Tyché allait le prendre mal, mais je savais également que c’était la meilleure chose à faire. Je ne pouvais juste pas partir demain comme si de rien n’était sans lui dire au revoir en essayant de l’oublier alors que de toute évidence je sais que je n’y arriverais pas. Je ne peux pas le nier, pour moi comme pour Tyché.

Mais sa réaction face à mon annonce me serre le cœur. Au début je pensais qu’elle ne comprenait pas ce que j’insinuais vu qu’elle espérait que je revienne mais j’ai vite compris qu’elle essayait juste de se voiler la face. Après tout, ce n’est pas parce qu’elle est encore jeune et qu’elle ne compte quitter tout de suite la garderie qu’elle ne peut pas comprendre.

Son visage se décompose de plus en plus à mesure que le temps passe et qu’elle s’imagine sans moi et même si je ne vois pour l’instant pas la marque d’une larme je sais qu’au fond d’elle, elle est noyé d’un profond chagrin. Et ça a le don de me bouleverser davantage. Je sais que j’ai pris la bonne décision en le lui disant mais je ne peux échapper une once de regret de faire surface au constatant les dégâts de mon départ. Pitié ne pleures pas, je ne veux pas te voir dans cet état, ça me fait si mal. Mais je ne peux décidément pas lui dire ça. Parce que je sais que c’est difficile et parce qu’elle a toutes les raisons du monde de pleurer. Mais je dois me montrer à la hauteur de mon rôle de grande-sœur, d’amie dévoué et la rassurer. La rassurer qu’un jour, un jour elle viendra à l’académie et qu’un jour nous serons réuni à nouveau.

Je passe un bras autour des frêles épaules de Tyché et la serre avec toute la tendresse qui m’est donné d’avoir tout en posant ma tête contre la sienne. Une technique qui me permet de prendre soin d’elle tout en laissant couler une larme silencieuse sans qu’elle ne la voit.

- Je suis désolée Tyché, profondément désolée. Moi aussi je ne veux pas partir je te le jures mais ce n’est pas moi qui décide, je dois me plier aux règles. Je veux juste qu’après mon départ tu restes toi-même. Pleures si c’est ce dont tu as envie, communique ta bonne humeur à tout le monde, prépare des cookies comme tu sais si bien le faire et ne t’occupes pas de ce qui te juges.

Je ne veux pas que mon départ la change, surtout pas. C’est peut-être égoïste mais j’aimerais, que quand on se retrouve, elle n’est pas changé. Bon bien-sûr, elle sera plus mature mais je veux retrouver mon rayon de soleil et surtout je veux que notre relation ne change pas. Comme si on s’était vu la veille.

Je lui dépose un bisou sur sa tempe et la serre un peu plus fort dans mes bras. Je ne veux jamais oublier ce moment et à chaque fois que je me sentirais seule ou un peu triste je veux me rappeler de ça. Parce qu’elle fait mon bonheur.

- Tu me le promets Tyché ?

Tyché n’avait pas répondu à ma question mais ce n’était pas bien grave. Le plus important c’est qu’elle m’a entendu. Peut-être qu’elle refuse de me répondre en pensant que tout ceci n’est pas réel mais quand le moment sera venu, mes paroles lui reviendront et elle suivra mes conseils. Elle n’a pas besoin de me formuler sa promesse à voix haute pour que je sache qu’elle a compris. Je le sais.

Pour l’instant sa seule attaque est de fuir la réalité c’est pourquoi elle s’écarte de mon étreinte et hurle qu’elle ne veut pas que je parte en serrant ses petits poings. Si tu savais a quel point je n’ai pas envie de partir Tyché. Mais la règle est la règle. Je dois m’y tenir. Alors je souris plus tristement que je le souhaitais et prononce un « désolée » lourde de sens, ma voix peinant à prononcer ce mot. Parce que je m’en veux. Réellement. En découvrant que j’allais être transféré à l’académie je n’ai pensé qu’à moi et au fait que j’allais me retrouver toute seule dans un endroit inconnu. Mais je n’ai pas pensé à elle qui a toujours été là pour moi et que j’ai soutenu du mieux que j’ai pu. Et demain nous nous perdrons de vue pour une période indéterminée.

Puis la déesse de la chance prend la fuite en direction de nos dortoirs. Je n’ai pas le courage de lui courir après ou simplement de l’interpeler car je crains de voir son visage baigné de larme avec un sentiment de honte à mon égard. Alors je reste là, à compter les brins d’herbes qui jonchent le sol et en essayant sans succès d’arrêter de penser à elle.

Plus tard dans la soirée, je toque à la porte de Tyché à mainte reprise mais elle n’ouvre pas. Et le sentiment de culpabilité qui m’a gagné tantôt s’accroit de plus en plus. J’ai si peur qu’elle me déteste alors nous nous entendons si bien. Je ne veux pas qu’on se dispute juste avant que je parte. Mais comme elle n’ouvre toujours pas sa porte, je décide qu’il serait impoli de la déranger et je rentre dans ma chambre, faisant mes valises pour demain et essayant tant bien que mal de dormir.

Le lendemain, c’est la mine peu réveillée que je sors de ma chambre, mes valises en mains, prête pour le grand départ. Enfin, non je ne suis pas prête. J’ai encore peur de ce nouveau changement et je n’ai pas pu voir Tyché depuis notre dispute. Mais je ne peux de toute façon pas reculer. Alors je m’approche des Moires et du portail qui me juge de toute sa hauteur et je respire pour déstresser. C’est là que j’entends des bruits de pas courir dans ma direction et j’ai à peine le temps de me retourner que Tyché me saute dessus. Je la serre fort dans mes bras, ému qu’elle soit venue en ce jour si spécial. La petite déesse venait tout juste de sortir de son sommeil au vu de son accoutrement mais je m’en moquais bien. Elle est là.

Ne sachant pas quoi dire, je laisse la parole à Tyché et elle finit par me tendre sa peluche préférée. Je suis d’abord surprise par son geste mais quand elle m’explique la raison, une larme glisse sur ma joue alors que je m’étais interdit de pleurer. Je sers à nouveau Tyché dans mes bras pour la remercier et parce que je sais que je vais bientôt la quitté.

- Jamais je ne t’oublierais tu m’entends. Tu es bien trop précieuse pour moi.

A contre-cœur je délaisses ses bras et prends sa peluche. Les Moires expriment leur mécontentement alors je me dépêche d’avancer vers le portail. Mais avant de voir apparaitre un nouveau paysage, je me retourne une dernière fois vers Tyché, le sourire aux lèvres et lui fait de grands gestes.

- Au revoir Tyché, à bientôt !

Je me retourne, sers sa peluche contre mon cœur et saute dans le portail.