Discussion sur l'oreiller

Ça fait déjà presque un mois. Un mois que les évènements de l’île sont terminés. Un mois que je déclare sans cesse mes sentiments à Arès. Un mois qu’il me repousse. Je commence sérieusement à me demander si je fais quelque chose de mal. Si je dois tenter une approche différente. Mais j’en ai déjà tenté tellement… Je suis clairement à court d’idée. Et, pour un artiste comme moi, être à court d’idées est bien la pire chose qui puisse m’arriver. La raison est en fait toute simple : je ne connais pas grand-chose à l’amour. Je n’ai jamais véritablement aimé auparavant et je ne pense pas qu’Arès ait plus d’expérience que moi. Ce qui est clairement un désavantage dans notre situation.

Mais quand on est mauvais dans un domaine, le plus simple est d’aller en parler avec un spécialiste. Voilà pourquoi je me trouve devant la porte du sanctuaire Sollerys. Je respire un grand coup avant d’entrer, me rappelant ce que je m’apprête à faire.

– Bonjour Apollon !

Je salue les filles qui m’interpellent et leur sourit sans perdre de vu mon objectif : la chambre d’Aphrodite. À cette heure-ci, il y a de fortes chances qu’elle y soit. Seule ou accompagnée. Peu importe, ça ne changera rien.

Et dire que je m’apprête à demander des conseils à Aphrodite ! Il est certain que je l’adore. Elle et moi sommes de bons amis. Mais je sais ce que valent ses conseils. Au mieux, elle me donnera une idée peu utile. Au pire, elle voudra intervenir elle-même. Ce qui est la dernière chose que je désire. Disons qu’elle a tendance à facilement se reposer sur son pouvoir. Ce qui peut être problématique dans différentes situations. Il n’empêche qu’elle est la déesse de l’amour. Elle reste donc la mieux placée pour ce dont j’ai besoin.

Enfin, la connaissant, il est fort probable qu’elle me demande de payer pour son « aide ». De payer en nature. Pas que ça me dérange outre mesure, je suis encore célibataire après tout. Même si j'avoue que l'idée de coucher avec elle me... m'excite moins que d'habitude.

Arrivé devant la porte, je toque, ne sachant pas qui se trouve à l’intérieur.

– Aphrodite ? Tu es là ?

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Je n’attends qu’une petite seconde avant d’entendre la voix d’Aphrodite de l’autre côté de la porte.

– Ouais j’suis là et toute seule donc tu peux entrer sans crainte !

Elle est seule ? Voilà qui est suffisamment rare pour être remarqué. J’actionne donc la poignée de la porte et entre, refermant le battant derrière moi. Effectivement, ni Perséphone, ni aucun homme ou autre partenaire sexuel ne se trouve dans la pièce ou, plus particulièrement, dans le lit de la déesse de l’amour. Seule cette dernière est assise, tranquillement. Si je ne la connaissais pas si bien, je dirai même qu’elle semble innocente.

– J’pensais justement à toi. Tu vas bien ? Qu’est-ce que la déesse de l’amour peut faire pour toi, bel Apollon ?

Innocente, oui, c’est ça.

– Tu ne fais pas si bien dire. C’est justement de la déesse de l’amour dont j’ai besoin. De ses conseils, pour être plus précis.

Je n’arrive toujours pas à croire que je m’apprête à lui demander ça. C’est un miracle qu’elle ne se soit pas encore immiscée dans ma relation avec Arès. Miracle qui touchera à sa fin à la seconde où je lui exposerai la situation.

– Tu l’as certainement déjà remarqué mais ma relation avec Arès a un peu évoluée…

Non, ça ne va pas le faire. Si je ne lui explique pas clairement, elle risque de se faire ses propres idées et d’avoir des réactions encore plus incontrôlables.

– Ça fait des semaines que je lui dis que je l’aime et qu’il m’ignore. Je ne sais plus quoi faire. Je me demandais si tu aurais peut-être une idée.

Ça y est, les dés sont jetés. J’espère seulement que le jeu en vaudra la chandelle.

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Je ne sais toujours pas si ce que je viens de faire est une bonne idée ou une énorme bêtise mais, en l’occurrence, Aphrodite a, au moins, l’air très investie dans mon histoire.

– Ça explique pourquoi j’te trouvais bizarre ces derniers temps.

Bizarre ? Oui, j’imagine que mon comportement doit être différent de d’habitude, en effet. J’ai été beaucoup moins présent pour Aphrodite ces derniers temps, alors que nous avons l’habitude de passer du temps ensemble et de se draguer un peu constamment à chacun de nos échanges. Chose que je fais beaucoup moins depuis que mon cerveau est totalement obnubilé par Arès.

Répondant à l’invitation de mon amie, je m’assoie à côté d’elle sur son lit et écoute ses remarques.

– De tous les dieux et déesses présents ici, il a fallu que tu sois attiré par le plus compliqué. J’aime les défis mais alors là j’suis servie. Toi quand tu m’offre un challenge, tu fais pas dans la demie mesure.

Je lui souris pour toute réponse. Il est vrai qu’Arès est un cas particulièrement complexe. Raison pour laquelle je suis ici d’ailleurs. Si je m’en sortais parfaitement, s’il n’était pas un challenge, je n’aurai certainement pas demandé l’aide d’Aphrodite.

Je la laisse m’expliquer ses idées et explose de rire devant ses remarques, toutes plus loufoques les unes que les autres. « Un manchot boiteux devant un caillou » ? Elle y va un peu fort quand même. Mais j’imagine que j’avais besoin de cette légèreté qui caractérise la déesse de l’amour. Je dirai même « frivolité ».

« Passer du temps privilégié avec lui » disons que j’ai essayé. J’imagine que notre dernier cours d’EPS compte. « Établir un contact physique subtil », je ne fais que ça. Ça a toujours très bien fonctionné mais je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. « Te faire désirer ». Il faut bien avouer que non. Je vais tellement le voir sans arrêt que je n’ai pas vraiment le temps de me faire désirer. Mais je n’allais pas autant le voir avant l’île et ça n’avait pas non plus fait changer les choses. « Lui montrer des trucs que t’aimes ». Lui, ça compte ? Mais il sait ce que j’aime non ? Je veux dire, je ne suis pas une personne très discrète sur mes activités. « Observer son langage corporel. » Hum. Oui. Comment dire ?

J’étais encore en profonde réflexion aux diverses propositions de la déesse de l’amour quand elle s’est collée un peu plus à moi, un sourire sournois sur le visage.

– Si tu veux j’veux bien t’aider à le rendre jaloux. Tu sais, faire jouer la concurrence décoince souvent les récalcitrants. Et quelque chose me dit qu’il ne serait pas indifférent à ce genre de coup. Ou alors j'utilise mon pouvoir sur lui en ta présence et l'affaire sera conclue.
– Non !

Ma réaction a été immédiate. Sans aucun temps de réflexion ou d’attente.

– Désolé.

Je toussote, une main devant la bouche avant de continuer.

– Mais il est tout à fait hors de question que tu utilises ton pouvoir sur lui. Je ne veux pas de ce genre de triche. Et je ne veux pas non plus le rendre jaloux. Ce serait le faire souffrir intentionnellement et… je sais qu’il m’aime.

J’ai failli lui expliquer le pourquoi du comment je savais mais je me suis retenu. J’ai beau adorer cette fille, je sais de quoi elle est capable. Il vaut mieux que je fasse attention aux informations que je lui donne.

– Et c’est bien mon problème. Je sais que mes sentiments sont réciproques donc je ne comprends pas pourquoi il me fuit comme ça. Il devrait plutôt accepter mes déclarations non ? Qu’on puisse sortir ensemble et être heureux, tout simplement. Mais, à la place, il préfère m’éviter comme si j’étais une sorte de monstre !

C’est la première fois que je le dis à voix haute. Ce qui me fait un effet assez étrange. Je sens mon ventre se serrer sous la pression.

– Je ne sais plus quoi faire Aphro….

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Avant de l’exprimer à voix haute, je ne m’étais pas rendu compte à quel point cette situation m’affectais. Jusqu’à présent, je n’ai jamais eu de gros problèmes dans cette vie. Mis à part les évènements de la grotte et de l’île mais ils me semblent totalement dérisoire par rapport à la peine que les fuites d’Arès me font ressentir. Peut-être qu’en parler avec Aphrodite était une bonne idée finalement.

– Il a peut-être vécu un truc similaire sans qu’on ne le sache et ça s’est mal fini.

J’écoute attentivement les hypothèses de mon amie en soupirant un peu plus à chaque mot. Que ce soit son passé ou le mien, rien n’est modifiable. Je ne crois pas qu’Arès ait déjà été en couple dans cette vie mais s’il lui reste un traumatisme de sa vie passée, ni lui ni nous, ne pouvons nous en rendre compte et, donc, agir dessus. Ce n’est pas quelque chose qui est contrôlable.

– Dans tous les cas je pense que le mieux que tu puisses faire c’est de lui parler en privé pour que vous puissiez mettre les choses au clair tous les deux, le rassurer et s’il y a besoin, lui montrer que tu ne seras qu’à lui.
– Tu me dis ça comme si c’était simple.

J’avoue que tout ça me dépasse. Je me laisse tomber en arrière sur le lit de la déesse et pose un bras sur mon front.

– Je ne peux pas changer qui je suis ou qui j’ai été. Et je ne peux pas voir l’avenir non plus. Comment lui prouver que je suis sincère envers lui ? Que je ne me consacrerais plus qu’à lui ? Qu’il ait peur d’aimer ou peur que je le trompe, je ne vois pas vraiment comment je pourrais lui prouver quoi que ce soit ! Mis à part lui dire encore et encore que je l’aime et que je veux lui appartenir.

Je ne pensais pas, un jour, en venir à regretter mes choix de vie. Mais comment est-ce que j’aurai pu savoir que j’allais tomber amoureux d’un dieu si compliqué aussi ! Que tout cela soit lié à un traumatisme de son ancienne vie ou à un rejet de l’actuelle, il ne me facilite pas la tâche ! Mais, en même temps, n’est-ce-pas aussi un peu pour ça que je l’aime ? Si tout cela avait été facile dès le départ, nous n’en serions pas là.

– C’est difficile d’être amoureux Aphrodite. Je ne te le conseille pas.

Ce n’est pas son genre mais, il y a encore quelques temps, je ne pensais pas que c’était le mien non plus. Encore une fois, ce n’est pas comme si c’était quelque chose de contrôlable.

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Je n’ai pas besoin d’être le dieu de l’amour pour savoir que tout cela est compliqué. Ça fait déjà quelques semaines que je l’ai compris. Cela peut sembler tout à fait dérisoire dans la vie d’un immortel mais je commence vraiment à fatiguer de cette situation. Raison pour laquelle je suis ici, d’ailleurs. Même si j’adore passer du temps avec Aphrodite, parler de sentiments n’a jamais été notre activité principale.

D’ailleurs, ses conseils ne m’apportent pas grand-chose. Ce n’est pas de sa faute mais, comme elle le dit bien, j’ai déjà essayé pas mal de choses. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis clairement déclaré à Arès. La communication. Être transparent. J’ai l’impression de ne faire que ça. Mais ce n’est pas facile de communiquer avec quelqu’un qui passe son temps à fuir.

C’est quand mon amie s’allonge à côté de moi, un sourire malicieux au bout des lèvres, qu’une nouvelle tournure pour cette soirée me vient en tête.

– En parlant de monogamie, pour acquérir la confiance d’Arès je suppose qu’il faut aussi totalement arrêter de coucher avec moi. C’est dommage, j’perds mon meilleur plan-cul. J’vais devoir trouver quelqu’un pour prendre la relève mais j’suis pas sûre de trouver.

Le sous-entendu est évident. Du moins, n’importe qui connaissant un minimum Aphrodite l’aurait compris. Et si, plutôt que de me casser la tête une soirée de plus, je faisais plutôt en sorte de me changer les idées ?

Je m’appuie sur un coude pour me redresser et me pencher vers la déesse.

– Je te donnerais bien des noms mais je ne suis pas sûr que l’un d’entre eux puisse me remplacer.

Une de mes mains se balade doucement sur le corps d’Aphrodite tandis que je fixe mon regard au sien, un sourire enjôleur sur le visage.

– Mais, en attendant, je crois bien que j’ai le droit à une petite pause. Arès attendra. Après tout, moi, je ne fais que ça. Et quel ami serais-je si je ne payais pas tes services, ma chère.

Je reprendrai mes réflexions demain. Pour l’heure, je n’ai plus envie de penser à lui.

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Est-ce que j’ai véritablement envie de donner une liste de noms à Aphrodite ? Pas le moins du monde. Certes, je le pourrais. J’ai couché avec un grand nombre d’étudiants de l’académie qui pourraient tout à fait être dans les goûts de la déesse. Mais, je n’en ai pas envie. Si cette soirée est vraiment la dernière que je vais passer avec mon amie dans ce contexte alors je n’ai pas envie de lui faire penser à d’autres. Oui, je sais, c’est égoïste mais, après m’être fait rejeter tant de fois, j’ai envie qu’on m’accorde de l’attention.

Heureusement pour moi, Aphrodite est très douée dans ce domaine.

— Des services qui s’avèrent inutiles au final. M’enfin qui serais-je si je refusais de profiter de ce moment ?

Toujours allongée à côté de moi, la déesse se redresse légèrement pour prendre mon visage entre ses mains. Je savais bien qu’elle ne résisterait pas longtemps à l’idée. D’ailleurs, pourquoi résister ? Je suis toujours célibataire et si Arès voulait que ce ne soit pas le cas, il aurait fallu se réveiller plus tôt !

— La der des der ?

Je souris en retour et rapproche Aphrodite de moi en passant un bras autour de ses hanches.

— La der des der.


Allongé sur le lit, nu aux côtés d’Aphrodite, je ne regrette aucunement mon choix. J’avais besoin de me défouler et je ne suis pas un Tamarisc. Je préfère le faire au lit que sur un punching-ball. Mais, malheureusement, mon objectif initial, lui, n’est pas rempli. Je n’arrive pas à me faire sortir Arès de la tête.

Je me retourne vers mon amie, sachant pertinemment qu’il est temps pour moi de quitter cette chambre.

— Merci pour ce beau final Aphro. Je vais pouvoir retourner me casser la tête, maintenant.

Mais c’est toujours plus agréable de se faire mal au crâne quand son corps est comblé.

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Le corps tourné vers Aphrodite, alors même qu’elle vient de m’offrir un beau moment de détente, mes pensées et toutes mes réflexions, elles, retournent déjà vers Arès.

— Te casse pas trop la tête. S’il te veut vraiment, il va devoir se bouger le cul. Les relations amoureuses vont dans les deux sens. Toi t’as déjà fait beaucoup alors s’il ne réagit pas rapidement, n’attends pas trop longtemps.

Je ris à la remarque et me redresse pour sortir du lit et récupérer mes vêtements. Tout en me rhabillant, je réponds à mon amie, en essayant de ne pas paraître trop défaitiste.

— J’espère vraiment qu’il va finir par se bouger, Aphro, mais je n’y crois pas trop. C’est comme s’il lui manquait quelque chose. Un déclic, un truc, je n’en sais rien. Mais j’ai peur que si j’arrête d’aller le chercher, il ne finisse par me fuir définitivement.

C’est l’impression que j’ai, en tout cas. Si j’arrête de lui dire que je l’aime, si j’arrête d’essayer de lui parler, je ne risque pas de le revoir de sitôt. Du moins, pas jusqu’à ce que ce qu’il s’est passé entre nous ne disparaisse et que nous ne revenions à notre relation précédente. Mais voilà le problème, je n’ai aucune envie de ça arrive.

— Enfin, on verra bien. Je ne suis pas encore prêt d’abandonner. Si tu me revois me plaindre auprès de toi, je t’autorise à me forcer à le faire mais je n’y suis pas encore.

Je l’aime bien trop pour risque d’abandonner maintenant. Même si j’ai eu la bêtise de tomber amoureux du dieu le plus compliqué de cette foutu école.

— Bonne après-midi Aphro, à plus tard.

Sur un dernier salut, je quitte la chambre et marche le long du couloir du dortoir Sollerys avec une seule réflexion en tête : les prochains jours risquent d’être encore bien difficiles.

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